On a été upgradé. Ce n’est plus dans le salon des débutants mais bien dans la cour des grands qu’on sévit cette fois. Il faut dire que l’envergure de la tête d’affiche est toute autre que celle des petits jeunots de la dernière fois (Greta Van Fleet). Ce soir, c’est au tour d’Unknown Mortal Orchestra, groupe psyché-fuzz-pop résolument indé, généralement acclamé (à juste titre) par la critique et surfant sur la vague d’une mer d’hipsters barbus à bonnets inamovibles (c’est probablement notre jalousie d’imberbe qui s’exprime) d’investir l’Ancienne Belgique.
La première partie est assurée par Makeness, artiste electro touche à tout assez expérimental. Seul sur scène, il se démène pour donner du volume à son oeuvre qui prend petit à petit une certaine forme et direction, rappelant ce que fait l’excellent Jack Garratt en live. Makeness nous propose quelques morceaux de son univers très particulier, fait de sons étranges et pas toujours très audibles, de beats réglés comme des pendules tranchant avec un désordre général que seuls les initiés seront capables d’apprécier.
Une atmosphère agréable s’installe au fur et à mesure du changement de plateau. On part sur des lumières tamisées et colorées plutôt flashy, des tapis en vrais poils de bison synthétiques (les poils hein) et puis une chaise. Oui une chaise, au milieu de la scène, en guise de trône. N’ayant que peu d’informations sur l’apparence et les performances live du groupe, on prie pour que celui-ci ne soit pas assis, statique et uniquement là pour jouer sa quinzaine de morceaux. Nos craintes sont liées à l’atmosphère globalement chill du dernier album et le peu de titres studio ayant un son pêchu. Des craintes qui seront finalement vite oubliées. On sent l’envie de la part du groupe de prouver qu’il n’est pas juste bon à être écouté par des bobos au coin du feu pour pouvoir se la raconter lors de soirées mondaines. Il y a quelque chose de moins lisse, de plus gras que sur leur dernier album (Sex & Food).
La première chanson, une version live du populaire FFunny FFrends donne le ton. Le groupe, solidement basé autour du créatif chanteur Ruban Nielson, arrive devant un public qui sait à qui il a affaire. Comme pour pouvoir encore plus se mettre Bruxelles dans la poche, Ruban est vêtu de vêtements dénichés dans une friperie locale dont un élément essentiel fait mouche auprès de tous les echte Brusseleirs : une casquette Delirium Tremens ! Il nous assure qu’il trouve cette bière à son goût et finit par mettre tous les clichés sur les atouts internationaux de la Belgique d’accord.
Ça n’a l’air de rien mais, dès la deuxième chanson, l’énergique chanteur est déjà dans la fosse, pour combattre les plus sceptiques à coups de solos de guitare. Plutôt petit, on le perd de vue quelques instants pour le retrouver seul sur le balcon, prêchant la bonne parole que le groupe cherche à faire passer. La musique peut paraître brouillonne et bruyante tant les sons saturés se superposent, bien aidés par une guitare qui n’est pas sans rappeler celle de Jack White au temps béni où il nous pondait des Icky Thump et autres Conquest. Après deux ou trois titres, l’impression que cet espèce de brouhaha est indépendant de la volonté du groupe se fait de plus en plus sentir. Mais ne pendons pas directement l’ingé son, la messe n’est peut-être pas encore dite.
Si ce n’est pas forcément la meilleure prestation de l’ingénieur du son, le show lumière est plutôt réussie et ajoute de l’émotion au live, en suivant les variations de la musique. Sur Ministry of Alienation par exemple, chanson planante et la plus aboutie du dernier opus, les teintes sont roses, mauves et bleues, juste comme on se les projetterait dans notre esprit si on fermait les yeux. Petit bémol, cette version live plus dansante perd un peu le côté mélancolique qui faisait sa force et son unicité. Elle est balancée ici comme un morceau plus rude (et toujours aussi mal calibré au niveau des aigus) mais ça a au moins le don de surprendre. Allez, une dernière chance pour la sono ? On est peut-être encore en phase de test…
S’enchaînent ensuite les classiques du groupe pour le plus grand bonheur de l’audience qui s’était un peu perdue dans tous les chemins musicaux proposés par Unkown Mortal Orchestra. So Good at Being in Trouble sonne bien, fait danser et chanter (première fois depuis le début du set) et se termine de manière musclée, avec un batteur prêt à casser la caisse claire, pour arriver sur le véritable fait d’arme du groupe, le Seven Nation Army ou le Creep d’UMO : Multi-Love. Une chanson simple dans sa construction mais complexe dans sa mélodie, à la fois pop et psyché mais surtout hyper accrocheuse, classe et dansante. Prenez ces ingrédients, laissez le leader les secouer et les mélanger grâce à une chorégraphie bien au point et vous obtiendrez une Ancienne Belgique conquise et prête à se déhancher pour le reste du concert ! Et c’est à ce moment très précis que le groupe décide de retirer le verre de cocktail de la bouche de ses invités pour leur servir une bonne vieille pils tiède et plate. Et comme pour confirmer nos dires, notre photographe est pris en flagrant délit de bouchage d’oreilles (vous connaissez maintenant son point de vue sur le travail de l’ingénieur son).
Sentiment mitigé donc à la sortie de la salle. On connaît la qualité du groupe en studio, on aimerait la connaître mieux en live. Beaucoup de bonne volonté mais pas forcément adaptée à l’univers musical proposé. Quand on veut envoyer de l’énergie et une certaine puissance, il est toujours bon de rester le plus simple et compréhensible possible pour éviter de se perdre dans son propre son et de se faire manger par celui-ci. L’univers du dernier album et celui que dépeint le groupe habituellement devraient se prêter à des représentations live plus intimistes, douces et précises, sans avoir peur de risquer d’ennuyer !
Jean Seyll