Millenium, le festival bruxellois du film documentaire, s’est tenu du 5 au 30 mai 2021, entièrement en ligne, Covid oblige.
Pour l’occasion, il s’était donc associé à la plateforme VOD belge indépendante Sooner, offrant une sélection assez extraordinaire de longs et courts-métrages, et comme à l’ordinaire, très engagés. Outre les différentes compétitions belges et internationale, plusieurs thèmes transversaux ont guidé le·la festivalier·ière : environnement, droits humains, démocratie, vivre ensemble, monde. Deux de nos chroniqueurs se sont penchés sur cette programmation riche et variée. L’un explorant la thématique environnementale, l’autre celle des droits humains. Concernant cette dernière, trois films ont retenu notre attention : Dying to divorce, On va tout péter, et enfin The Case You. Cinq documentaires sont, quant à eux, sortis du lot parmi la programmation verte du festival : Icemeltland Park, The Story of Plastic, Stolen Fish, Journey to Utopia et Wood, game-changers undercover.
Droits humains
Dying to divorce est un documentaire assez classique dans sa forme : on suit durant plusieurs années une avocate turque, Ipek Bozkurt, qui se confronte à un état religieux, et à une justice scandaleusement clémente envers les hommes violents. La force de ce film réside sans nul doute dans son approche sans concession de la violence conjugale en Turquie et dans la puissance de ses témoignages, plus poignants et intenses les uns que les autres. On pourrait penser que cette situation révoltante ne concerne qu’une certaine partie du monde, mais la violence conjugale est un fléau partout, y compris chez nous. Et nul doute que les récits de ces femmes et de cette avocate sont essentiels pour se confronter à cette plaie, même si deux d’entre eux sont particulièrement durs à entendre.
On va tout péter retrace le déroulé d’une longue grève au coeur du site de production de l’équipementier automobile GM&S, située dans la Creuse, en France. Le film suit les grévistes tout au long de leur lutte, en s’intéressant principalement à ses conséquences, et à l’enchaînement des faits dans l’usine occupée. On perçoit dans le regard du réalisateur une réelle tendresse pour ces hommes et ces femmes, ces travailleur·euse·s de 50 ans qui, en un claquement de doigt, ont vu leur monde s’écrouler. Au fur et à mesures de ses échanges, il développe un véritable lien avec eux/elles, nous permettant de nous rendre compte de l’utilité de l’action syndicale, détruisant les clichés et nous offrant à voir le vrai visage des grévistes, un visage humain et essentiel.
The Case You est un documentaire allemand d’Alison Khun. Abordant la violence sexiste et le cas particulier d’une audition qui a conduit une grande partie de ses participantes à subir des agressions physiques et sexuelles, le documentaire met en scène cinq jeunes comédiennes qui figurent parmi les victimes de cette audition. On les retrouve sur un plateau de théâtre, témoignant de ce qu’elles ont vécu face caméra. Une confession cathartique sous forme de déclamation qui soulève le cœur de dégoût et de révolte. The Case You est une petite merveille, tant dans sa construction que sa mise en scène. Toutefois, il nous semble nécessaire de signaler que ces témoignages sont particulièrement difficiles à entendre.
Environnement
Icemeltland Park est plus une expérience visuelle qu’un film en tant que tel. Ce court-métrage de Liliana Columbo se la joue plutôt expérimental. Son approche ? Faire de la fonte des glaces liée au réchauffement climatique une attraction touristique. La réalisatrice use de l’ironie et de la provocation en mélangeant les terribles images de glaciers qui s’effondrent à une bande sonore digne d’un parc d’attraction, le tout entrecoupé de fausses publicités ultra commerciales pour pousser le dégout à son paroxysme.
Produit par Discovery Channel, The Story of Plastic de Deia Schlosberg a une toute autre ampleur. Le sujet est simple et connu de tous : le plastique va conduire notre planète à sa perte. Disons-le tout de suite, il faut prendre une grande inspiration avant de plonger dans ce film et s’apprêter, dès la fin du générique, à passer au carton ou autres matériaux biodégradables. Profondément anxiogène et pédagogique, ce documentaire nous démontre à coup d’images chocs, d’interviews et de chiffres, comment le plastique, vu comme une révolution dans les années 50 est devenu un crime contre l’humanité. Comment, en 2050, il y aura plus d’éléments en polymère synthétique que de poissons dans l’océan. Comment seuls 2% des déchets arrivent à être recyclés et transformés en un produit utile. Parfois redondant, The Story of Plastic est une piqûre de rappel fort utile.
À l’opposé de The Story of Plastic se trouve Stolen Fish. Le documentaire de Gozia Juszczak suit en toute humilité quatre habitants de bord de mer de Gambie, le plus petit pays d’Afrique mais aussi le plus pauvre. On peut y voir Paul, Abou, Mariam et Gunjur, que la caméra approche dans leur quotidien fait de pêche et de recherche de jours meilleurs. Il faut dire que le poisson est phagocyté par les industries chinoises implantées dans la région. Leur but ? L’utiliser pour en faire de la farine alimentaire pour les animaux de Chine ou de l’Union Européenne. Il faut 5 kg de poisson pour faire 1 kg de farine et comme le dit Paul : « ils utilisent le poisson des pauvres pour nourrir les animaux des riches ». Les protagonistes ne peuvent plus que survivre, se nourrir devenant de plus en plus difficile. Alors, ils rêvent de partir, loin, peut être en Europe, comme le frère de Paul. Mais c’est tellement difficile… Abou en a fait l’expérience et s’est vu torturé dans les prisons de Lybie avant d’être renvoyé dans son pays.
Toujours à échelle humaine, Journey to Utopia est le journal intime de Erland, Ingeborg et leurs deux enfants. Fermiers norvégiens qui, suite une profonde prise de conscience, décident de tout quitter pour rejoindre Permatopia au Danemark, village expérimental basé sur l’autogestion, l’autosuffisance et la permaculture. Magnifique projet sur papier mais qu’en est-il en réalité ? Le film suit les déboires de la mise en chantier du village : les doutes, les larmes mais aussi les petites victoires et les grandes joies. Comment, finalement, suivre ses convictions peut mettre à mal son couple, sa famille mais aussi soi-même. Très humain et humble, jamais moralisateur, le film beaucoup d’humanité à un sujet qui peut de prime abord sembler rébarbatif et cliché.
On termine avec Wood, game-changers undercover, documentaire qui flirte avec le thriller politique. Et pour respecter l’essence même du thriller, on va essayer de ne rien spoiler. Dans ce film de Monica Lăzurean-Gorgan, Michaela Kirst et Ebba Sinzinger, on suit de très près le patron de l’agence pour l’environnement de Washington qui a réussi à infiltrer la mafia du bois en Roumanie. Fausses identités, maquillage digne de Mission impossible, caméras cachées, tout est bon pour démontrer les méfaits de la déforestation dans un but lucratif, voire pire, comme dit le patron d’une grosse société autrichienne de traitement du bois : « parce que c’est un hobby ». Un véritable polar qui dévoile un système brutal et anti-écologique : tant pis si le sang coule et tant pis s’il y a des morts, le principal est de faire du bénéfice sur l’hectare de bois. Un film qui fait froid dans le dos. Après ça, on vous le garantit, vous ne verrez plus votre parquet de la même façon !
Stephan Gauvrit et Christophe Bauthier