Trois ans après son premier long métrage, le réalisateur gantois Peter Monsaert nous présente son Ciel Flamand, sélectionné au festival de San Sebastian et de Toronto. Les rôles principaux sont interprétés par Sara Vertongen et sa fille Esra Vandenbussche, Wim Willaert et Ingrid Devos. Un film bouleversant et délicat, dévoilant un monde complexe, habité par des personnages d’une fragilité saisissante.
À la frontière de la Flandre occidentale et de la France, Monique et Sylvie travaillent au Ciel Flamand. Ces femmes font des câlins aux personnes qui ont besoin d’aide. C’est ainsi que Sylvie, soucieuse de préserver l’innocence de sa fille Eline, lui décrit le métier de prostituée. Lorsque Sylvie travaille, Eline passe du temps avec son oncle Dirk. Elle n’a pas le droit de rentrer dans la maison close mais reste fascinée par cet endroit mystérieux. Un jour, cet équilibre précaire est mis en péril par un évènement dramatique qui vient bouleverser les liens familiaux.
Un chien enfermé se dresse devant nous. Esseulé, agressif. Peter Monsaert nous annonce par ce premier plan le grand thème du film : des êtres indifférents à tout y compris à eux-mêmes, emprisonnés dans leur existence fragile, endossant une responsabilité pour autrui face au fardeau de leur passé, des ruptures et des souffrances intimes. Sur fond de drame social, sombre et froid, mêlant presque le thriller, le réalisateur et scénariste du Ciel Flamand parvient à nous livrer un tableau contrasté de personnages aux psychologies complexes : des individus blessés sentimentalement, coincés dans leur monologue. Jusqu’où sommes-nous prêts à agir pour garder nos enfants en sécurité ? Un drame tel que celui présenté dans le film peut-il resouder une famille séparée ?
Par une mise en scène subtile et une caméra pudique, le réalisateur Peter Monsaert nous plonge dans une représentation radicalement instable de la subjectivité : nous sommes au plus proche de chaque personnage. Le cinéaste parvient à ancrer le cadre du récit dès les premières scènes. Une maison qui s’habille de rouge la nuit. Le milieu de la prostitution est suggéré par une composition de l’image qui nous familiarise intimement avec celui-ci et crée un espace-temps transitoire entre le privé et le public. Le film ne tombe ni dans le cliché, ni dans la présomption d’une étude sociologique. Néanmoins, le réalisateur n’est pas indifférent à la violence intrinsèque de la prostitution. La photographie est assez froide et use de plans serrés, contrastant avec les étendues de paysages incertains et inquiétants. L’esthétique, sobre et froide, renforce la noirceur du scénario. Le film s’appuie sur la puissance du hors champ pour orchestrer les détails de la mise en scène (La scène où Dirk découvre la voiture de l’agresseur sexuel, ou encore la scène finale).
Plans après plans, les choses se passent et débordent, suggérant parfois en filigrane plusieurs niveaux d’appels, d’angoisse, de détresse. Mais rien n’affecte les personnages. Ils traversent leurs actions sous le même ton indifférent. Les drames internes et individuels se croisent et se rencontrent pour cristalliser la fragilité de chacun. Le rôle de la mère est omniprésent et s’incarne dans les différentes générations, mais le film nous intime également une quête de la paternité. Ce rôle de père absent, interprété par Wim Willaert tangue entre une sincérité bouleversante et une retenue terrifiante.
Au-delà de penser une reconstruction familiale, Le Ciel Flamand pose la question des protections successives dans lesquelles les individus se glissent, la façon dont on peut se mentir à soi-même. Les acteurs nous renvoient à nos propres échecs sentimentaux, à nos regrets, à nos désirs, se convainquant en dernier recours que tout va bien. Saisissante de légèreté et de délicatesse, la mise en scène révèle donc des instants fragiles, mais c’est davantage une merveilleuse et éblouissante tristesse qui nous envahit. On assiste cependant toujours à une histoire d’amour. L’amour transparaît dans tous ces mouvements de soutien et d’abandon. Ces êtres sensibles, qui s’attirent et se déchirent, s’éloignent et se retrouvent, font l’épreuve permanente de la difficulté d’être avec l’autre. Cette insondable entité se murant dans le silence, se dissimulant peu à peu, s’effaçant comme un fragment énigmatique du monde. Ils s’exposent à ce qui blesse et ne cessent de consentir à se risquer dans l’existence. Un film intimiste d’une noirceur magnifique.
Bertrand Gevart