Kompromat, ou ‘dossier compromettant’ en français, est le nouveau projet musical à la barre duquel on retrouve Vitalic, sorcier de la musique électronique, et l’ingérable mais très productive Rebeka Warrior (Sexy Sushi).
Ces deux-là ont déjà eu l’occasion de collaborer à plusieurs reprises : en 2011, le temps d’un remix sinistrement dansant du titre de Sexy Sushi Oublie moi, et en 2012, à l’occasion d’un macabre duo répondant au doux nom de La Mort sur le Dancefloor, qui incite plus au pogo qu’à la marche funèbre. Duo qui s’est concrétisé sur scène au Zénith de Paris pour une prestation apocalyptique.Bref, quand les deux se sont pointés pour annoncer la sortie d’un album dans le cadre de ce nouveau projet, il était difficile de savoir à quoi s’attendre, mais on se doutait bien que ça n’allait pas respirer le bal musette d’un village provençal. C’est plutôt quelque part à l’est du rideau de fer, au milieu des années 80, qu’ils semblent vouloir emmener l’auditeur. Il y fait froid, gris et un monde va s’effondrer, inéluctablement. Car oui, c’est majoritairement en allemand que leurs textes sont chantés, parlés, hurlés, jusqu’à l’hystérie. Un projet relativement inclassable sur papier qu’ils décrivent eux-mêmes comme « un album d’EBM (Electronic Body Music) où ils se sont fait plaisir », et qui est d’une efficacité redoutablement éreintante.
Son premier titre, Possession, s’ouvre sur des nappes de synthé désolées. Les textes en allemand de Rebeka Warrior, chantés sur un ton monocorde à la Miss Kittin, sont entrecoupés par les voix inquiétantes d’une chorale d’enfants proférant des paroles désabusées en français, telles que « nous ne sommes personne » ou « nous n’allons nulle part ». Le Village des damnés ne semble pas bien loin. Sans prévenir, une basse grasse et saturée vient inonder les tympans et faire vibrer les corps – à condition d’écouter la musique assez fort – comme un rouleau compresseur, accompagnée d’un beat lent et martial. De légères envolées synthétiques virevoltent dans un univers rétro-futuriste propre à Vitalic, que l’on retrouve en plusieurs occasions sur son dernier album en date, le très réussi Voyager.
Et voilà que le duo embarque l’auditeur pour une sombre et dansante expérience électronique qui se déroule dans un sous-sol clandestin et enfumé. Les rythmes effrénés, parfois presque suffocants, cèdent la place à quelques passages plus mélancoliques, notamment sur le titre De mon âme à ton âme, en featuring avec l’actrice Adèle Haenel. Ça en devient presque lumineusement romantique. La rythmique générale est souvent cadencée par une caisse claire, implacable et intarissable, qui ne laisse aucune chance aux corps de se reposer : danse ou crève, mais danse d’abord ! Et toujours cette voix suave et paradoxalement glaciale qui vient épouser la musique.
Avec des morceaux comme Herztod (arrêt cardiaque, en français) et surtout Le goût des cendres – ça respire la joie de vivre tout ça encore – l’auditeur et le danseur se font embarquer dans un tourbillon de beats qui accélèrent et ralentissent pendant plus de six minutes. Ils ne pourront pas s’en sortir indemnes. Au mieux, un orgasme jubilatoire les traversera, à bout de souffle. Dans sa construction, ce dernier morceau nous fait penser au titre Oppression qui figure sur le dernier album de Soldout.
Le disque s’achève sur le titre Das Konterfei, un chant à deux niveaux qui s’entremêlent sur cette, toujours aussi sombre et ronronnante, basse dont plus personne ne semble avoir le contrôle. Tout comme pour ces machines qui s’emballent sans que personne ne soit en mesure de les gérer. Inexorablement, la pression monte jusqu’à une explosion finale qui n’aura jamais lieu. La guerre froide est finie et nous laisse avec le silence, glacial et infini, au bout de 42 minutes d’une mélancolie rageusement dansante.