Entre la Belgique, l’Ile Maurice, Londres et les Etats-Unis, Jason Burtally, le guitariste et leader du groupe Body To Body, a grandi au rythme des berceuses créoles de sa mère, de la collection de vinyles de son père et des rencontres qui ont ponctué sa vie. Il nous raconte son parcours dans cette entrevue.
Comment la musique est-elle entrée dans ta vie?
Mes parents n’étaient pas musiciens mais j’ai toujours baigné dans la musique. La première voix que j’ai entendu dans ma vie, c’était celle de ma mère. Elle me chantait des berceuses en créole ou des chants hindous. D’autant que je m’en souvienne, il y a toujours eu un tourne-disque à la maison. Mon père était fan de rock.
Fin des années 1970, je vivais entre la Belgique, l’Ile Maurice et Londres et, à cette époque, le rock progressif traînait encore sur les ondes et le punk émergeait petit à petit. Certaines personnes de mon entourage ont commencé à s’interroger sur le rapport entre la puissance des mots et la musique qui en est le vecteur. Ça m’a beaucoup marqué parce que, quand j’étais petit, on ne parlait pas de la musique. Elle était omniprésente mais on n’en débattait pas, elle faisait partie du décor.
Dans la culture mauricienne, la musique a également une place importante. Elle émane en général de bandes originales issues du cinéma bollywoodien (Lata Mangeshkar, Mohd Rafi et Asha Bosle, entre autres). De retour en Belgique, à l’école, les élèves de ma classe faisaient tourner des cassettes. C’est comme ça que j’ai découvert de nouveaux styles de musiques sous formes de hits, puis d’albums entiers et que je me suis créé mon propre répertoire musical.
Quel a été ton parcours en tant que musicien?
Mon premier instrument, c’était la batterie. J’ai commencé à en jouer quand j’avais 13-14 ans. Malheureusement, je n’avais pas la possibilité d’en avoir une chez mes parents parce que, premièrement, c’était trop petit et, deuxièmement, parce qu’à ce moment là, une batterie coûtait extrêmement cher. Du coup, accompagné de chansons de groupes que j’aimais beaucoup à l’époque (Duran Duran, Madonna… les 80’s quoi!), je battais le rythme sur tout ce que je trouvais : des coussins, des boîtes de Mackintosh, des casseroles, … Et quand j’ai commencé à jouer dans Les Lacrymogènes en 1992-93, je n’ai bizarrement eu aucune difficulté à tenir le tempo et à varier la frappe entre les différents éléments. C’est la meilleure mise en bouche que j’ai eue! Après deux ans, le groupe a splitté et j’ai décidé de me concentrer sur mes études à l’université.
C’est à ce moment là que j’ai été contacté par Pascal Parent (Habemus Papam). A l’époque, il avait un projet (Bumpers) et cherchait un chanteur. Il m’a demandé : Tu sais chanter? Et j’ai dit oui. Alors que pas du tout! Je n’avais jamais chanté dans un groupe avant! Comme ça se passait plutôt pas mal en duo, on a décidé de chercher un batteur. Mais, pour une raison inconnue, à l’époque (1994-1995), on n’a pas réussi à trouver quelqu’un qui avait envie de faire du punk. Pourtant, on avait des morceaux, du matos et on était très motivé. Finalement, comme j’avais commencé à apprendre la guitare et que je savais jouer la majorité des titres des Ramones (une très bonne école pour apprendre l’accord barré et pour jouer sur un tempo rapide!), un jour, pendant une énième audition de batteur qui s’était avérée peu convaincante, on a inversé les rôles. Pascal s’est mis derrière la batterie et j’ai pris la guitare : ça a tout de suite collé (on a fait « War Ensemble » de Slayer, juste comme ça!). D’un coup, on s’est retrouvé avec un bassiste (Constantin Papageorgiadis), plus de 60 dates de concert en moins de deux ans et on a enregistré des démos sur K7 qui étaient super bien chroniquées. On était trois vieux étudiants-glandeurs-chômeurs, ce qui nous permettait de passer des longues journées à composer, de jouer ensemble. On était vraiment passionné et l’entente était très bonne (malgré nos vies privées respectives qui n’étaient pas vraiment au beau-fixe). Durant les « années Bumpers », des milliers d’anecdotes se sont passées! On a eu l’occasion de faire les concerts les plus délirants de notre vie : Queens of the Stone Age, Marky Ramone, Betty Goes Green, … En 2001, on a décidé de se séparer parce qu’on avait un peu fait le tour de ce style de vie « no future/post-grunge », on était épuisé et on voulait tout simplement passer à autre chose.
A ce moment là, j’ai dit à Pascal, je vais créer un projet qui sera à l’opposé de Bumpers : des titres moins rapides, plus longs, avec des accords à la Sonic Youth. Kung-Fu 77 était né. Au départ, c’était extrêmement expérimental puis petit à petit, on a commencé à structurer nos morceaux et j’ai écrit mes premiers vrais textes et compos. Mais c’était trop pop au goût de Pascal et Fabien Chantry (bassiste que l’on a pu revoir sur scène au sein de La Smala Et Moi, il y a peu). Pendant un an, le groupe a cessé d’exister puis, encouragé par mon ami Sébastien Vanhove, Kung-Fu 77 a repris du service avec un nouveau line-up (dont Arnaud Larcier, un fan des débuts avec qui une entente géniale a toujours été conservée à travers les années. Il joue actuellement dans Billions Of Comrades). On a fait trois fois le Bota en l’espace d’un an, on a partagé la scène avec Vismets et Nada Surf, joué à la Fête de L’Iris, enregistré un album dans un magnifique studio juste après Puggy d’ailleurs, etc. Puis Christophe Lems, le batteur de l’époque, a eu l’opportunité de quitter la Belgique pour son travail… Cet épisode a marqué une longue pause qui a mené à la fin du groupe.
Après cela, je n’ai plus touché ma chère Fender Jaguar pendant au moins un an, je traversais une période de ma vie pendant laquelle je n’avais plus vraiment envie de faire de la musique. Petit à petit, j’ai laissé tomber ma guitare électrique pour une acoustique et j’ai réadapté d’anciens titres de Kung-Fu 77, écrit des nouvelles compos exclusivement destinées à être jouées unplugged, tâté des reprises loin du punk/grunge/rock. Après quelques concerts solos à Tokyo pendant l’expo d’un ami d’enfance (André Devaivre), j’ai fait quelques lives acoustiques en Belgique, enregistré trois titres pour un projet électrique solo nommé fEAR oF sLEEP qui a finalement évolué, en mai/juin 2012, vers ce qu’est maintenant Body To Body, avec Christophe Hoffman (batterie) et Laetitia Gerlier (basse-chant).
Et comment est né Body To Body?
Mon parcours musical a toujours été façonné par des concours de circonstances et des coups du sort à peine provoqués ; ça tombait toujours juste bien d’être au bon moment avec les bonnes personnes pour une simple collaboration musicale. Body To Body, c’est un heureux accident… Un jour, une amie photographe à moi (Séverine Bailleux) me demande de traduire la bio d’In Heaven, le projet de son petit ami Christophe Hoffman. J’accepte, on sympathise autour d’une pizza et, de fil en aiguille, on se retrouve à jouer ensemble pour un nouveau projet d’Yvan (ex-De Volanges), auquel on n’a finalement pas donné suite. A cet instant, je me rends compte qu’en plus de bien m’entendre sur le plan humain avec Christophe, nous sommes également sur la même longueur d’ondes musicalement.
Par le plus grands des hasards, au même moment, Fred Bulté (Soirées Cerises) me propose de jouer au TAG Rogier pour la Fête de la Musique. Ni une, ni deux, je réponds par l’affirmative. Je propose alors à Christophe de m’accompagner sur 2-3 titres… Il fera finalement toute la set-list! Il nous reste alors un mois pour boucler le set. Laetitia, notre future bassiste, était dans la salle ce jour-là et, sachant que son groupe de l’époque était sur le point de splitter, je lui ai proposé de jouer avec nous. Après ça, elle a vite eu envie de tenir le second chant ; chose heureuse car sa voix est – à mon goût – bien meilleure que la mienne! Depuis lors, on a fait quelques concerts et on bosse sur le mix final sur notre premier EP (à paraître en avril 2013).
En parlant de ce premier EP, peux-tu nous en dire un peu plus?
On l’a enregistré le mois passé au Luna Barn Studio à Ternat. Il a été créé par Luc Crabbe (ex-leader de Betty Goes Green, Telstar), qui a d’ailleurs fait les chœurs sur un de nos morceaux. Pour l’instant, il est en cours de mixage. Ce sera un cinq titres éponyme dans lequel on retrouvera le côté instrumental non-orthodoxe de Kung-Fu 77, l’énergie grunge-punk de Bumpers, avec une petite touche 80’s au niveau de la mélodie vocale. L’aboutissement de ma vie dans ce milieu-là en quelque sorte : si je devais mourir demain, je crois que je partirais le sourire aux lèvres parce que maintenant, grâce à l’ouverture d’esprit et au sens musical de Laetitia et de Christophe, je suis arrivé à un stade où je peux vraiment faire tout ce que j’ai eu envie de faire depuis longtemps en musique. Le résultat sonne comme la somme de mes expériences passées musicalement et humainement.
Body To Body sera en concert demain, 20 mars, au Magasin 4 ; le 28 mars au Botanique (Working Class Live) ; le 11 mai au Rock Classic et le 22 juin au TAG (Fête de la Musique).