On a rencontré Benoît Hageman, aka Ben Zoulk, l’un des quatre administrateurs bénévoles du Magasin 4. Cette salle de concert bruxelloise, incontournable pour les amateur•rice•s de musiques alternatives, fête cette année ses 25 ans. Son avenir reste pourtant encore incertain, même si Benoît se veut rassurant. Retour sur l’histoire de ce lieu mythique et plongée dans l’univers de celui qui a vu défiler plus 1000 groupes en dix ans de carrière.
Peux-tu te présenter et nous expliquer ton rôle au sein du Magasin 4 ?
Moi c’est Ben, je fais partie du Magasin 4 depuis dix ans. Sur les 25, c’est déjà pas mal ! Avant d’être au Magasin 4, j’étais président du Belvédère à Namur. Je suis arrivé ici, dans cette nouvelle salle, où il y avait beaucoup à faire et où on a beaucoup fait en dix ans. Je suis administrateur, ça c’est mon poste officiel. Après, on n’est pas vraiment organisés de manière hiérarchique au Magasin 4, on fonctionne plutôt par réseau de compétences. Je m’occupe de coordonner la programmation, les productions, la promo et un peu l’équipe aussi. Mais ici, il n’y a pas un programmateur ou un promoteur attitré. Au Magasin 4, on travaille en équipe.
Un petit historique du lieu pour nous ?
Cette année, on fête nos 25 ans. Avant le Magasin 4, il y avait le Bulten, un lieu tenu par Éric de PPZ30 et d’autres personnes. Une fois que le Bulten a fermé, Éric et d’autres, dont les frères Masson qui font partie de Pneumatic Head Compressor, ont ouvert une salle de concert destinée à faire jouer les musiciens alternatifs. Le bâtiment, situé au numéro 4 de la rue du Magasin, comptait deux étages. Il n’y avait rien à Bruxelles à l’époque. Le Magasin 4 est donc né à l’initiative de musiciens. Après plusieurs années, Denis Colinia est arrivé au M4 et a donné un coup de boost à l’organisation, jusqu’au moment du déménagement. Au bout de quinze ans, l’immeuble a été vendu et transformé en lofts. La Ville de Bruxelles, en concertation avec la Région de Bruxelles-Capitale, a trouvé le lieu actuel (Avenue du Port 51B), bâtiment qu’on occupe depuis dix ans maintenant. L’équipe a beaucoup évolué depuis lors. Le nouveau lieu a aussi changé beaucoup de choses : la jauge de l’ancienne salle était de 150 personnes alors qu’aujourd’hui on peut accueillir jusqu’à 500 personnes, même si ça arrive rarement. Ça a bien évolué et je pense qu’on a réussi à devenir un acteur incontournable du monde culturel alternatif bruxellois grâce à notre programmation, les groupes qu’on accueille et la taille de l’équipe, qui accueille chaque année plus de bénévoles. On a passé un grand cap au niveau de l’organisation quand on a fêté nos 20 ans. On a programmé des groupes comme Napalm Death, The Exploited… Bref, de gros groupes, et donc acquis énormément d’expérience. Beaucoup de bénévoles nous ont d’ailleurs rejoints à ce moment-là. L’équipe est bien vivante et on est encore là jusqu’en juin 2020 !
Combien de personnes travaillent au Magasin 4 ?
Ça change tout le temps ! Parce que le principe c‘est qu’on est tous bénévoles et qu’on apporte ce qu’on peut apporter quand on peut l’apporter. On est quatre administrateurs mais il y a d’autres personnes qui ont des rôles très importants dans l’asbl. Ici, il n’y a pas de hiérarchie donc si des membres de l’équipe veulent faire quelque chose, ils nous préviennent mais s’arrangent entre eux pour le son, les lights, l’achat de matériel… On les laisse aussi prendre des initiatives. C’est, par exemple, le cas de la distro qui rassemble tous les disques des groupes qui ont joué au Magasin 4. On a une réunion de bénévoles tous les mois pour coordonner tout ça. Pour répondre à ta question, je dirais que pour une soirée il faut à peu près compter 15 bénévoles. Il y a en a qui sont là durant plusieurs années puis qui disparaissent et reviennent, d’autres qui sont là tout le temps. À l’heure actuelle, on est environ 80 bénévoles en tout.
Comment fonctionnez-vous d’un point de vue financier ? Bénéficiez-vous de subsides de la Fédération Wallonie-Bruxelles ou de la Ville de Bruxelles ?
On fait partie du réseau Club Plasma comme l’Atelier 210, le Rockerill, Le Belvédère et l’Entrepôt, donc on est reconnus. On a un contrat-programme et 27 000€ de subsides par an. Mais le projet ne serait pas viable si on n’était pas bénévoles. Beaucoup de groupes pensent qu’on travaille tous ici. Mais non, moi personnellement je viens ici en semaine après ma journée de travail. Si on avait des salaires à se verser et des gens à rémunérer, on ne s’en sortirait pas. L’autre point important pour nous, c’est de garder des prix accessibles et on ne pourrait pas se le permettre si on n’était pas bénévoles. Les subsides que l’on reçoit sont peu élevés par rapport au nombre d’activités qu’on organise mais on se débrouille. Avant, le Magasin 4 fonctionnait sans subsides et il a bien vécu sans pendant 15 ans.
Vous devez quitter le bâtiment que vous occupez en juin 2020, avez-vous trouvé un nouvel endroit où vous installer ?
Contrairement à beaucoup de gens qui montent vite aux barricades, on travaille depuis plusieurs années avec la Ville de Bruxelles, qui a trouvé le lieu actuel, et avec la Région aussi. C’est Bruxelles-Environnement qui est propriétaire du bâtiment dans lequel on se trouve. Le lieu va être détruit et le terrain transformé en parc. On ne sait pas encore où on sera relogés, ni quand, mais on le sera. Il y aura peut-être un petit laps de temps sans Magasin 4, entre septembre 2020 et janvier 2021, le temps qu’on déménage. Ensuite, on devrait se poser quelque part pour 3-4 ans en attendant d’investir notre lieu définitif, qui devrait se trouver dans le quartier, pas loin de l’ancien Bulex.
Donc il est clair que le projet va continuer ?
Oui ! À moins que l’on ne se retrouve à la rue pendant deux ans. Il y a beaucoup de gens qui nous disent pourquoi vous n’organiseriez pas des concerts au Vk ou au Recyclart en attendant. Mais on gère nous-mêmes notre lieu et n’est donc pas du tout intéressés par le fait d’organiser des concerts dans des salles de location. On aimerait vraiment avoir un nouveau lieu mais le noeud du problème réside dans la géographie de Bruxelles qui compte de plus en plus d’habitants et de moins en moins d’espaces. Il y a des voisins partout et déménager une salle de concert dans un quartier résidentiel, ce n’est pas très intelligent. Et nous déplacer au fin fond de la ville, où il n’y a pas de transports en commun, ça ne sert à rien. Donc on attend des nouvelles. Il y a des pistes, des recherches en cours. J’espère qu’on sera fixés pour la fin de l’année ou début 2020, mais je pense très clairement qu’il y aura quelques mois sans Magasin 4.
Quels sont les trois concerts qui t’on marqué durant ces 10 ans de service ?
Pas plus tard que la semaine dernière, Hey Colossus/Gnod/Vandal X/Part Chimp. Napalm Death aussi. Et un groupe américain que peu de gens ont vu (il n’y avait qu’une vingtaine de personnes dans la salle) qui s’appelle Ahleuchatistas et qui compose une sorte de mélange de jazz, de mélodies à la John Zorn et de musique expérimentale. Chaque année est marquée par son lot de concerts mémorables. On en organise tous les mois et il y en a toujours un ou deux qui sont vraiment ‘wouah’. Mais ce ne sont pas nécessairement ceux où il y a le plus de public. C’est important de garder ça en tête quand on gère une salle de concert. Ça me fait penser aux coupures budgétaires que le monde culturel flamand subit actuellement. Ce qui est le plus dur quand on gère une salle, c’est de faire de la découverte et de programmer de nouveaux groupes. On sait qu’on va faire peu d’entrées, mais ça en vaut la peine artistiquement parlant.
As-tu une anecdote personnelle, liée au Magasin 4, à nous raconter ?
Je me rappelle de cette fois où on accueillait un groupe de math-rock américain qui s’appelle Oxes. Donc, comme toujours, je travaille la journée puis fait route vers le Magasin 4 en sortant du boulot. Je sors du métro et mon téléphone sonne. C’est le tourneur d’Oxes qui me dit (c’est leur première date) que leur matériel, t-shirts et vinyles ne sont pas arrivés. Je débarque au M4 et cherche les musiciens mais n’en trouve aucun. Ils sont en fait tous crevés et dorment. J’en réveille un, habillé en chemise hawaiienne et en tongs, et on prend leur van direction Berchem pour récupérer leur matos. On arrive dans un gigantesque entrepôt dans lequel on se met à chercher. Il y a des trucs dans tous les coins mais on met finalement la main sur ce qu’on cherche. Ce soir-là, j’ai dû faire l’ouverture de la salle en duplex par téléphone, mais on y est arrivés et le groupe a joué à l’heure. Pour plus d’anecdotes, moins personnelles cette fois, n’hésitez pas à lire nos fanzines. Il y en d’assez croustillantes, notamment dans le dernier numéro dans lequel on parle de qu’est-ce qu’être bénévole au Magasin 4.