Cette année avait lieu la 24e édition du Groezrock, durant le foisonnant week-end du 1er Mai. À une heure de Bruxelles, la paisible commune de Meerhout accueillait près de 40 000 festivaliers. Parmi eux, tout comme l’an dernier, la rédac’ de BeCult.
Le Groezrock, dans le paysage des festivals punk-rock hardcore sauce andalouse fait figure de savant équilibre entre un Ieperfest pointilleux et un Dour plus pop. Autant l’affiche de l’édition précédente semblait aventureuse, autant la cuvée 2015 semblait miser sur de grosses pointures et valeurs sûres du genre, à la limite du redondant, afin d’alpaguer le festivalier primesautier. Du punk-rock mélo à roulettes 90’s à gogo avec Lagwagon, Satanic Surfers, Pennywise (invité pour la 3e fois) ou encore Millencolin, foulant pour la 5e fois les planches de Meerhout ; mais aussi des groupes « Cheval de Troie » tels que Social Distortion, Raised Fist, Agnostic Front ou encore Suicide Silence. On regrettera l’annulation d’Emmure, remplacé par The Acacia Strain et sera logiquement impatient de découvrir ce que donne le set comeback de Refused, en guise de cerise revival sur le gâteau Groezrock, à l’allure fugace d’une démo open air des ambassadeurs du label Epitaph Records.
Vendredi 1er mai
12h, décollage de Bruxelles avec dans le coffre de la R21 le kit du parfait campeur festivalier trentenaire : une tente Igloo non pas « 2 secondes » mais plutôt « 12 minutes trente », un confortable matelas non pas gonflable mais en mousse moelleuse, point de raviolis en boite mais une salade quinoa vegan home made et de la Jupiler, ok, mais en canettes de 25 cl. Vieillir, c’est moche, oui.
Après avoir rangé aux casiers des consignes présentes à l’entrée du site notre humble égo de journaliste newbie, incapable de maîtriser les subtilités du minutieux système d’accréditation en ligne, ce n’est que trois heures après l’arrivée sur site que la moitié de la team BeCult profite enfin de la programmation de ce premier jour de festival.
Nous râlons donc devant la fin du set d’Against Me!, emmené par la fascinante Leadsinger Laura Jane Grace, interprétant les tracks de leur récent album Transgender Dysphoria Blues sur la grande scène (Monster Energy Stage).
Nous prenons le temps de nous renseigner sur ce qu’a donné le set de Brutus. Ce groupe de post-rock originaire de Louvain a la particularité de mettre en frontside la batterie, menée à la baguette par Stefanie, qui joue également des vocalises. Le groupe a malheureusement été programmé à 13h, mais sur la scène Back to the Basics. Comportant l’énorme triple avantage d’être très accessible (car dénuée de barrières), d’une taille à dimension humaine et relativement large, cette scène optimise la proximité incontestable public-groupe. C’est d’ailleurs la programmation de cette scène qui nous enthousiasmera le plus.
S’ensuit ensuite l’arrivée attendue de Iron Reagan, groupe trashcore joyeusement foutraque et fun, crossover des membres des mythiques groupes Municipal Waste et Cannabis Corpse. Le groupe est davantage taillé pour le live, les moshpits et la sueur que pour une écoute au casque. Le set fait mouche et la mayo andalouse commence à prendre sur la plaine de Meerhout.
Nous passons brièvement par la désagréable scène Impericon (trop longue, trop exiguë) afin de sourire à la vue de tant de fervents teenagers grillant moult calories devant le set deathcore californien de Suicide Silence. Après une pause au prisé stand de victuailles vegan Just like your mom pour un savoureux Crispy Burger, nous tâchons vainement de nous emballer devant Lagwagon sur la grande scène. Par la même occasion, nous ralentissons mi-surpris, mi-contrits devant d’étonnants autochtones à l’esprit critique corrompu par un énième tube à essai de Jagermeister, se démenant à l’écoute de Jamiroquai, Alanis Morissette et autres vieux tubes FM cheesy devant le stand éponyme de la boisson à fort indice glycémique dédiée aux skieurs alpins. Le tout à grand renfort de laserlights et de fumigènes. On saisit tout de suite qu’avec le powerspot du coin VIP-Presse, il s’agit des seules zones ou une tentative de drague a des chances d’aboutir, si l’idée de conclure dans l’intimité relative qu’offre une tente 2 secondes ne vous effraie pas outre mesure. Nous vivons décidément une époque formidable!
Mais l’heure n’est plus à la médisance introspective, résolus à en découdre face à l’adversité sponsorisée, nous retournons vers notre scène favorite pour un déferlement de génial grand n’importe quoi avec l’arrivée de Trash Talk. Le terme « défouloir » est un doux euphémisme. Une niaque d’enfer pour un set trashcore powerviolent et cartoonesque made in Sacramento. La scène Back to the basics permet d’autant plus slams en backflips, leadsinger en manque de Ritaline et joyeux remuage de terre battue, le tout faisant légèrement perler de sueur les tempes du staff sécu. Le plaisir d’offrir et la joie de recevoir semblent parfaitement partagés entre le public et le groupe.
C’est donc remontés à bloc que nous nous empressons de rejoindre la grande scène, jouant des coudes afin de nous approcher un maximum du crew de Jim Lindberg. Pennywise emmène systématiquement avec lui une énergie communicative assez bienveillante, tels de grands frères skate-punkers. Le featuring surprise avec Joey Cape, le leader de Lagwagon, en milieu de set ne semble toutefois pas avoir l’impact escompté. Ils enchainent en tous cas un mix de nouveaux tracks et de vieux tubes qui fonctionnent toujours bien en live comme Perfect People, issu de l’album About Time, Greed que l’on retrouve sur Straight Ahead ou encore l’incontournable Bro Hymn, clôturant l’album Full Circle : « Life is the most precious thing you can lose, Ho Hohoho ho hohohoho… »
Il est minuit et nous commençons à fatiguer. Nous tentons de lutter contre les affres du temps qui passe, pour les post-ados défraichis que nous sommes, devant le dernier set de la soirée : celui de Social Distorsion. Ambiance très friendly et nostalgique, voire cosy, qui nous incite à être raisonnables et à prendre la tangente. Nous passons devant une soirée after moins convaincante que les messages subliminaux du matelas en mousse et partons dans sa direction, non sans un petit crochet-embuscade dans la tente familiale d’amis sudistes pour ce que l’on appelle avec beaucoup de mauvaise foi : « un dernier Ricard »
Samedi 2 mai
Après une nuit fidèle à ce que l’on attend dans un camping de festival, nous profitons des infrastructures locales vraiment appréciables, telles que les douches chaudes (bénie soit la bonne âme qui en a eu l’initiative!) pour récupérer un semblant de dignité et troquons fétides relents anisés contre une sereine haleine mentholée. Après une petite virée matinale dans les impressionnantes entrailles de la zone merch’, qui n’a rien à envier au City2, nous nous refaisons un stock de t-shirts ayant la faculté de rendre dépressifs tout beau-parent, responsable hiérarchique ou styliste un minimum respectable.
C’est ainsi que nous loupons bêtement Love Zombies et The Interrupters et que nous nous faisons par la même occasion cette petite réflexion, issue d’un sentiment latent depuis l’ouverture du festival et inspirée d’un récent constat unanime au sujet des événements musicaux les plus populaires sur la toile : sur les 94 groupes programmés au Groezrock 2015, seuls 10 incluent des membres de sexe féminin (ce qui équivaut à un taux de moins de 11% parmi lesquels un seul groupe, Tiger Bell, est entièrement constitué de nanas). De plus, 4 de ces 10 formations sont diffusées sur la petite scène et aucune d’entre elles ne sont programmées après 20h. Après avoir rangé nos calculatrices de viles goules revanchardes, nous errons, mornes, avant de retourner vers la scène Back To The Basics, devenue une valeur sûre en terme d’exutoire.
Après un set « mise en bouche » du groupe anversois Your Highness, celui de Turnstile s’avère être une vraie énorme bonne découverte. En trois mots : énergie, fraîcheur, hématomes. Un flow super street cred’ sur une instru hardcore efficace, une interaction avec le pit plus qu’aérienne et une pensée émue pour la sécu qui a dû finir par somatiser une rupture d’anévrisme à la vue de l’inqualifiable monticule humain sciemment jeté et entassé sur la scène. Le tableau épique de ce spectacle nous redonne foi en l’humanité et en la relève inespérée de la scène punk-hardcore.
Après une pause Figoulu bien méritée, nous nous rinçons l’œil impunément devant les Suédois de Raised Fist qui jouent sur l’Impericon, on file ensuite se remémorer de futiles sessions « drague juvénile » aux abords de skate-parks devant Satanic Surfers, le groupe de punk-rock à roulettes le plus easy listening de la planète. L’écoute est entrecoupée d’une petite frayeur et d’un constat : le Groezrock est ce genre de festival où l’on peut abandonner smartphone ou onéreux reflex numérique des heures durant en plein milieu du bar presse avec la quasi-assurance de tout retrouver… A moins que cela ne soit une histoire de Karma?
C’est donc le cœur gonflé d’énergie positive et de confiance en nos pairs que nous boulotons la sucrerie que représente un set de Comeback Kid, impatients d’entonner le tube fédérateur Wake the Dead, tels les « enfultes » que nous sommes résolus à demeurer. Après un haussement d’épaules, légèrement blazés devant Agnostic Front, nous filons savourer Millencolin jouer le morceau Mr Clean. Certains coups de foudre d’adolescents sont ad vitam aeternam liés à un titre, voilà tout !
Après un court repli pour préserver nos vieux os de trop de courbatures, nous comprenons avec aigreur que nous avons bel et bien raté American Nightmare, qu’il n’existe actuellement aucun modèle de DeLorean capable de remonter dans le temps. Il va falloir vivre avec ça pour le restant de nos jours et nous estimons que mourir écrasés devant Refused est une échappatoire assez honorable.
Pourtant, nous parvenons à nous faufiler aisément aux premières loges. On constate que Dennis Lyxzén possède une prestance scénique « dandyesque » et une aisance élastique comparable à celle de son comparse Norvégien, Pelle Almqvist, le leadsinger de The Hives, qui foulait la même scène l’année passée. Le set est grandiloquent. Evidemment, notre palpitant s’emballe particulièrement lorsque, habilement distillés parmi les nouveaux titres, sont entonnés les morceaux que nous avons écoutés en boucle 17 ans auparavant. Tout le monde ne souhaite demander qu’une seule chose : « Vas-y, mets la 4, fieu!». La 4, c’est le numéro de plage du morceau de l’album The Shape Of Punk To Come, à l’intro la plus « badassement » lancinante de la planète punk-rock, aka New Noise, qui amorçait aussi inconsciemment la nouvelle ère de The International Noise Conspiracy. Les premières notes hystérisent la foule. La récente reformation du groupe pour la sortie d’un nouvel album, Freedom , a été une réelle surprise et comportait un vrai challenge : comment transcender un précédent opus aussi culte? Refused semble n’avoir peur de rien et cela lui réussit. L’épreuve du feu semble convaincre et c’est dans une immuable et flamboyante énergie que se clôture l’édition 2015 du Groezrock.
Dimanche 3 mai : épitaphe
Groggys de la veille, nous nous éveillons, tels de désinvoltes papillons de nuit sortis de leur chrysalide en moustiquaire, extirpés des limbes par de douces mélopées de flatulences et ronflements de voisins de tentes d’infortune. Passant une tête hirsute au dehors, c’est un spectacle de désolation qui nous invite au décampement : une véritable favela de Quechuas. Malgré trois jours de temps clément et d’infrastructures sanitaires plus que suffisantes, le panorama nous rappelle quelques scènes du film Idiocracy.
Comment des festivaliers affichant sur leur sweat leur soutien à Sea Sheperd ou se déhanchant devant Refused peuvent-ils volontairement laisser un site aussi sale? Les monceaux de détritus au sol, souvent à moins de 5 mètres d’un container poubelle, des tentes 2 secondes délaissées car compliquées à replier et notre regard accroche l’activité de nos voisins, occupés à jouer au baseball à l’aide d’un boudin en mousse et de leurs déchets.
Nous repartons vers notre contrée avec empathie pour le staff et en étant désolés que cette scène soit l’une des dernières images du festival que nous gardions en tête.
Carolyne Missdigriz