Jour 3. Alors que les températures étaient plutôt agréables ces deux derniers jours, le troisième s’annonce caniculaire. Pas de bol pour les groupes se produisant sur la Main Stage, dont l’atmosphère est insoutenable par pareille chaleur.
Et puis, en ce troisième jour, on est tout de même beaucoup moins frais qu’à notre arrivée. On prend une douche chaude ce matin. Après les deux précédentes à l’eau glacée, c’est enfin un moment de plaisir qui nous attend et nous redonne un peu de pêche pour entamer cette dernière journée de festival. Même scénario que la veille : la sélection photo effectuée par Félicie, on se charge de mettre le tout en ligne et manque le premier concert du jour, celui des Espagnols de Le Temps du Loup. On entame donc notre marathon musical avec le live de Summit sur la Forest Stage.
Présenté comme le groupe le moins connu du Dunk!2019, il n’en est pas pour autant moins bon et n’a pas à rougir face à ses pairs. Le quartette de Gand n’a en effet pas encore sorti son premier album qu’il est déjà d’une sacrée efficacité sur scène. Côté compositions, il mêle habilement post-rock éthéré et post-metal. Une bonne mise en jambe pour entamer cette troisième journée. Le groupe ne manque pas non plus d’humour, puisque l’heure du dernier morceau venue, il nous rassure avec une petite boutade que seuls les amateurs de post-rock comprendront : « C’est notre dernier morceau mais, pas de panique, il dure 15 minutes ».
Après la Forest Stage, direction le chapiteau, ou devrait-on dire la fournaise, pour applaudir les Singapouriens de Paint The Sky Red. Des sonorités de guitare cristallines et atmosphériques, qui rappellent celles d’Explosions In The Sky, de This Will Destroy You ou encore de Mono, transpercent les airs. Ils viennent tout juste de sortir leur troisième album Not All Who Wonder Are Lost, à l’occasion de leur dix ans de carrière. Leur post-rock cinématographique est propice à l’introspection. Mais, malheureusement indisposés par la chaleur régnant sous le chapiteau, on aura du mal à profiter pleinement du concert.
Alors que Jean D.L. et Karen Willems s’apprêtent à prendre place sur la scène de la forêt, on doit précipitamment quitter le site du festival pour secourir un ami perdu – sans smartphone – dans le dédale de rues qui s’étend entre la gare des trains de Zottegem et l’auberge de jeunesse De Populier où se déroule le Dunk! depuis maintenant cinq ans. Après 20 minutes de recherches infructueuses avec pour seule indication « Je suis au milieu des champs et je vois des vaches », on reçoit finalement un message du jeune randonneur qui a enfin trouvé l’entrée du festival, après 45 minutes de marche sous le cagnard. On fait donc demi-tour pour regagner le Dunk! et rejoindre le courageux marcheur. Après vérification, aucun bus ne passe à proximité du site, en tout cas pas depuis la gare. Que ceux qui décident de venir en transports en commun soient prévenus. Les organisateurs mettent d’ailleurs une carte à disposition des festivaliers sur leur site, en précisant ironiquement : « From there, it is a nice walk to the festival. You’ll get to experience the Flemish country side as a free extra service ».
Après ce petit tour en caisse dans la campagne flamande, on reprend notre épopée musicale avec Jardín de la Croix sur la Main Stage. Les Madrilènes nous plongent immédiatement dans d’épaisses couches d’une cacophonie calculée. Aussi frénétique que lourde, la rythmique s’emballe comme un cheval apeuré lancé au galop. De temps en temps, il se calme et reprend son souffle pour ensuite repartir de plus belle. Entre math rock, post-metal et rock progressif, il trace sa route et nous emmène avec lui pour une folle cavalcade.

La crinière encore ébouriffée par cette course exaltante, on enchaîne sans transition avec Shy, Low sur la Forest Stage. Formé en 2011 entre la Virginie et Whasington DC, le groupe compose un post-rock atmosphérique et plein d’émotions. C’était en l’occurence le cas sur Hiraeth et Binary Opposition, ses deux premiers albums. Car avec l’EP Burning Day, sorti en 2017, la formation américaine a pris un tournant plus hardcore/metal, plus sombre et torturé, dont on entrevoit les contours cet après-midi.
Malgré les heures qui passent la chaleur ne semble pas perdre en intensité, et encore moins sous le chapiteau. On décide donc de faire un bon break à l’ombre pour récupérer un peu de force et d’énergie pour ce dernier soir de festival. Silent Whale Becomes A Dream, Zhaoze et Gifts From Enola seront applaudis par d’autres que nous.
Retour en piste aux alentours de 20h avec Bossk sur la Forest Stage. On respire enfin ! Les Britanniques composent des mélodies à la croisée du post-rock et du post-metal, agrémentées de temps à autre par des bribes de chant hardcore. Ignorant les barrières entre les genres, le quintette travaille ses mélodies, ses structures, ses transitions pour créer un ensemble cohérent, tantôt lumineux, tantôt sombre.
On continue avec un groupe assez singulier sur la scène post-rock : Tangled Thoughts Of Leaving. Singulier dans le sens où les Australiens apportent un nouveau souffle au genre, en l’imprégnant de toute leur créativité. Experimental, noise, free jazz, telles sont les influences dans lesquelles infuse le post-rock du quartette pour un résultat qui ne ressemble à aucun autre. Sonorités spatiales, envolées de riffs, piano fou et batterie lourde font émerger des motifs du chaos. Noir, innovant et intriguant.
On profite du set d’Her Name Is Calla pour manger un bout. On a évidemment fait honneur à la paëlla du Dunk! à 18h pétantes mais on a un petit creux. On se prend donc un bol de soupe bien poivrée pour attaquer le dernier live de cette édition : Alcest. Une première pour nous ! Ce n’est pourtant pas faute d’en avoir entendu parler avec ferveur et admiration par plusieurs de nos proches, fans de la formation française depuis ses débuts. On a évidemment écouté quelques tracks avant de venir et est plutôt impatients de voir ce que ça donne en live. Surtout quand on sait que les paroles sont en français et qu’on a toujours eu du mal avec ça.
Il est 23h30 lorsque le groupe prend place sur scène. Stéphane Paut, plus connu sous le pseudo de Neige, se dresse devant nous. Les lignes de sa silhouette élancée se dessinent dans la pénombre, sa longue chevelure ondulée tombant délicatement sous ses épaules. Les premiers riffs résonnent à peine sous la toile cirée que l’on sait avec certitude que ce qui va suivre nous plaira. Le son est extrêmement clair et nous enveloppe dans un cocon de textures et de couches sonores. C’est le titre Écailles de Lune, Pt. 1 qui ouvre le bal. Légèrement en retrait par rapport aux mélodies, le chant, assez doux et classique, renforce le caractère orchestral de l’ensemble. La voix caresse nos tympans de sa tonalité veloutée tandis que les instruments nous bercent. Un pur moment de poésie ! Et puis, c’est l’explosion, la batterie accélère et gagne en force, les guitares s’affolent, laissant jaillir des sons de plus en plus stridents tandis que le chant, résonnant au loin, se fait enchanteur. Une montée en puissance, tout en fluidité, qui chatouille cette boule d’énergie et d’émotions mêlées que l’on a parfois l’impression de sentir grandir en nous quand on est littéralement captivé par ce qui se passe sur scène. Une sensation assez courante, quand on y pense, dans le post-rock. Justement grâce à ces envolées qui, lorsqu’elles sont bien exécutées, nous donnent parfois la sensation de décoller du sol.
Avec Je suis d’ailleurs, sorti sur Kodama en 2016, on entre dans un autre univers, toujours aussi poétique mais plus sombre, dans lequel le chant black metal se marie aux arrangements symphoniques. Ce que l’on perçoit ce soir, on ne l’a jamais expérimenté auparavant. Impossible de vous décrire le tourbillon de sentiments qui se déchaîne en nous, ni d’identifier clairement la source exacte de cet état jamais connu précédemment en live. Oiseaux de proie, Autre temps, Les iris, Onyx, Kodama, Là où naissent les couleurs nouvelles, Percées de lumière, la setlist se déroule et on perd la notion du temps. C’est déjà l’heure du dernier morceau, Délivrance, qui n’en est pas une pour nous. Au contraire, on aimerait que la délivrance n’arrive jamais et qu’on puisse rester toujours dans cette bulle sensorielle inédite dans laquelle ce concert a réussi à nous plonger. Stéphane Paut, la main sur le coeur face à la foule en liesse, semble avoir lui aussi vécu un moment particulier. Alcest quitte la Main Stage sous un tonnerre d’applaudissements… tandis que l’on se fraie tant bien que mal un chemin jusqu’à la sortie, histoire de respirer une bouffée d’air frais et de sécher nos yeux humides. Royal !
Notre septième Dunk! s’achève à peine que déjà la nostalgie nous envahit. De retour à Bruxelles le dimanche après-midi, toujours pas remis de ces trois journées vivifiantes, on tente d’identifier quelques éléments sur lesquels les organisateurs pourraient encore s’améliorer. Parce que même au top, on peut toujours faire mieux. Ce qui nous a manqué en 2019, ce sont ces moments improvisés qui existaient il y a quelques années, ceux qui ont permis à Thisquietarmy et Kokomo de se produire à même le sol, au milieu du petit bois, alors que la Forest Stage n’était pas encore née. Peut-être parce qu’au fil des éditions, l’affiche s’est étoffée et que de 10 groupes par jour en 2014, on est passé à 13. De là découle forcément aussi la diminution du temps de roulement entre les concerts qui a parfois causé chez nous une certaine frustration. Un autre point d’attention, selon nous, le peu de musiciennes ou d’artistes féminines à l’affiche. Loin de nous l’idée d’imposer un quota ou de pousser le duo de programmateurs à booker des groupes de filles uniquement parce que ce sont des filles. Le but est simplement de leur ouvrir les yeux sur une problématique vieille de plusieurs dizaines d’années : la sous-représentation des femmes dans le monde de la musique, et particulièrement dans le rock et le metal.
Tout cela ne nous empêchera bien sûr pas de revenir l’année prochaine pour fêter comme il se doit les 15 ans du meilleur festival du monde !