S’il reste des fantômes dans les travées de BOZAR, musée cher à Victor Horta, ce ne sont plus ceux du BIFFF. Ils s’en sont en effet allés dès potron-minet, ce lundi matin, suivis par une cohorte de vampires, de zombies et autres spectateurs hagards. Le bâtiment Art déco, aux circonvolutions fantomatiques qui conviennent si bien à cet événement, pourra retourner à des activités moins interlopes.
On continue notre tour du monde des oeuvres estampillées BIFFF, à un rythme soutenu. Après The Quake, on quitte la Norvège et met le cap plus à l’est avec The Unthinkable, dernier long métrage du réalisateur suédois Victor Danell. Une oeuvre assez aride qui oscille sans cesse entre le drame familial intimiste et le film catastrophe. Alors qu’Alex, pianiste à succès, retourne se confronter à son passé dans son village natal, une vague d’attentats frappe de plein fouet Stockholm. Les moyens de communication sont interrompus, la population est désemparée, le gouvernement doit fuir en catastrophe. Que se passe-t-il réellement ? Qui attaque la capitale et pourquoi ? Dans le même temps, les habitants semblent se comporter de façon de plus en plus inhabituelle. Notre protagoniste devra non seulement faire face à cette terrible menace mais à bien pire encore : les fantômes de son passé. Disons le franchement, la première demi-heure du film est terriblement indigeste, tous les poncifs de la famille dysfonctionnelle sont passés en revue. Il faut attendre le 3e acte pour que le scénario insuffle une véritable tension, tension qui ira crescendo jusqu’à un dénouement final politiquement cynique.
Direction le Canada avec Level 16 de Danishka Esterhazy. Le métrage nous transporte dans un monde dystopique et étouffant, dans lequel des jeunes filles sont éduquées, grandissent sans jamais voir la lumière du jour, et n’ont pour unique entourage que leurs compagnes de chambrées et les murs verts qui les entourent. L’éducation est stricte, presque militaire, et l’hygiène corporelle et la bonne santé sont les pierres angulaires de leur séjour. Les plus obéissantes gravissent un étage (au sens propre : elles prennent l’escalier pour l’étage supérieur) jusqu’au niveau ultime : le 16e. Leur récompense pour avoir atteint cette forme de perfection ? Être enfin promises à l’adoption. Mais tout est-il vraiment si parfait ? C’est la question que finit par se poser Vivien. Et si autre chose les attendait, quelque chose de bien plus cruel… Film miroir de notre société, avide de paraitre et de superficialité, monde instagramé qui gomme les imperfections derrière des filtres de fausse beauté, Level 16, tente, parfois avec un manque flagrant de subtilité, de frapper là où ça fait mal. Entre Un bonheur insoutenable d’Ira Levin et un épisode de la 4e dimension, le film rate le coche à cause d’un petit détail : sa durée. Il aurait par contre fait un moyen métrage de haute qualité.
C’est beaucoup plus au sud que se déroule l’action de No Dormiràs de Gustavo Hernandez, réalisateur argentin qui avait fait sensation, il y a 10 ans, avec La Casa Muda, film d’horreur réalisé en prise unique. Ici, il a choisi comme décor l’Argentine des années 80 que l’on découvre en compagnie de Bianca, jeune actrice en devenir qui, poussée par sa passion pour les planches, décide de se joindre à une troupe aux méthodes peu orthodoxes, bien loin de celles prônées par Lee Strasberg et l’Actor’s Studio. Et de fait, son jeu devra se baser sur le concept de la privation de sommeil. Une bonne grosse nuit blanche de plusieurs jours pour briser les barrières de la perception et ainsi, ne plus jouer un rôle mais l’incarner. Mais que se passe-t-il si le personnage que vous devez interpréter est mort dans des circonstances plus que suspectes, sur le lieu même de la répétition ? Un pitch pas plus bête qu’un autre, pour un film dans la lignée des productions Blumhouse (Insidious, Sinister) avec son lot de fantômes, de jump scares, d’ombres qui passent en arrière-plan et de portes qui claquent. Un film qui se regarde sans déplaisir mais qui s’oublie aussi vite.
Sans transition, place à Door Lock de Kwon Lee, Thriller sud-coréen de haute volée. Une plongée hallucinante dans la vie de ces jeunes coréens actifs qui tentent, vaille que vaille, de survivre dans les grandes mégalopoles. Surpopulation, emploi précaire et insécurité sont leur quotidien. Des trentenaires qui se battent pour la plus petite parcelle de logement. C’est aussi le cas de Jo, jeune cadre dans une société bancaire. Jo habite dans une tour, un studio minuscule qu’elle paie rubis sur ongle, tout ça pour être le plus proche possible de son lieu de travail. Le tout dans un quartier bien mal famé qui la fait flipper dès qu’il fait noir : elle a en permanence la sensation de ne pas être seule, tellement qu’elle en devient un brin parano. Mais le pire est à venir… Le film est un exemple de thriller qui vous prends dès le départ pour vous emmener dans les recoins les plus obscurs de l’âme humaine. Door Lock, nous prouve que le mal se terre partout, même dans les lieux qui, à la base, devraient être les plus sécurisants.
Retour en Allemagne avec Cut Off de Christian Alvart. Il y a quelques années, il avait tenté une percée aux États-Unis avec Pandorum et Case 39, et on peut dire qu’il a bien appris ses leçons. Son film, adapté d’un roman de Sabastien Fitsek, est l’archétype du modèle US. Un médecin légiste découvre, lors d’une autopsie, un message caché à l’intérieur du crâne d’un cadavre. Plutôt singulier comme trouvaille. Mais cela le devient encore plus, quand notre médecin découvre que ce message est en réalité le numéro de téléphone de sa propre fille. Thriller à tiroirs, course contre la montre, rebondissements, révélations, tout y passe dans cet ersatz qui oscille entre Seven et Le Silence des Agneaux.
Et comme souvent, on garde le meilleur pour la fin ! One Cut of the Dead, long métrage japonais de Shin’Ichiro Uedo. Coup de coeur du festival, le film est une véritable bombe. Ce qui était à la base un travail d’étudiant est devenu une véritable bête de festival. Et c’est mérité. Cet objet filmé est une véritable ode d’amour au genre (ici, le film de zombie) mais aussi une histoire méta, une mise en abîme entre le film, sa création et sa diffusion. Et surtout, un joyau à mourir (normal avec des zombies) de rire. Le décrire est quasiment impossible, c’est une surprise qu’il faut découvrir totalement vierge d’a priori. Mais, en gros, c’est un film dans le film… dans le film. Ça commence comme une série Z avec des morts-vivants mal fichus et puis ça continue comme le tournage d’un film d’horreur fauché qui se voit perturber par l’arrivée de véritables zombies. Mais en fait, et si ce n’était pas ça le vrai sujet du film ? Si, au départ, on rigole devant la nullité d’un truc un peu mal fichu, on finit par se bidonner devant la pertinence du script, les prouesses de mise en scène, les trouvailles de montage. Le film se termine en apothéose jubilatoire, mais on ne vous en dira pas plus. Ce soir, le public debout en redemande et ça fonctionne tellement que One Cut of the Dead sera été rediffusé pour finalement recevoir le prix du public 2019. Et quand on connait l’exigence des spectateurs du BIFFF, tout est dit !
Voilà, le BIFFF, c’est fini. On ressentira bien un peu le manque et on se surprendra sûrement un soir à crier tout seul « la porte » ou « derrière toi » en regardant Netflix, mais ça ne devrait pas durer pas trop longtemps.