Anna von Hausswolff. Si ce nom ne vous disait encore rien il y a quelques temps, vous devez certainement l’avoir entendu à plusieurs reprises ces dernières semaines. L’annulation de son concert, prévu le 7 décembre 2021 dans une église nantaise, sous la pression de catholiques intégristes a fait l’objet d’une importante couverture médiatique. L’artiste suédoise devait se produire chez nous quelques jours plus tard, le 13 décembre. Un événement organisé à l’église Saint-Dominique à Bruxelles par le Botanique, qui a décidé de ne pas céder à la menace. Le concert étant soldout, il a été scindé en deux parties de 40 minutes pour pallier les risques liés au Covid. Retour sur une prestation majestueuse, instrumentale, courte et inattendue.
On avait eu vent des rumeurs concernant Anna von Hausswolff, considérée comme « sataniste » ou « blasphématrice » par la frange radicale de la communauté catholique, étayant ses accusations en pointant notamment du doigt les paroles du titre Pills dans lequel l’artiste fait un parallèle entre l’addiction aux drogues dures et la descente aux enfers : « Oh I, I made love with the devil, with the devil ».
Mais, ce soir, on ne s’attendait quand même pas à être reçu·e·s en grandes pompes par un comité d’accueil composé d’une chorale de catholiques intégristes, de policiers et de quelques journalistes. Après avoir répondu à quelques questions d’un journaliste du Standaard et passé le service de sécurité, on se rend au « guichet guest » pour récupérer nos pass presse. Petit couac, le nom de notre photographe n’est pas repris dans la liste et le tour manager de l’artiste filtre les accréditations. Et puis surprise, tous les photographes n’auront pas accès à l’étage, zone depuis laquelle Anna von Hausswolff jouera de l’orgue. Ça promet…
Quoi qu’il en soit, dès l’entrée, on s’émerveille devant la beauté du lieu, éclairé de couleurs oscillant entre le rose et le rouge. Des chaises d’église sont disposées tout le long de la nef et font face à l’autel. L’orgue est situé en hauteur, derrière une barrière, dos au public. L’ambiance est plantée : on est là pour écouter et pas pour regarder.
20h. Comme prévu, la cérémonie commence. Quelques secondes de silence, le temps que l’artiste s’installe face à l’orgue. Les premières notes éclatent et les murs se mettent à trembler, les vitraux vrombissent sous les vibrations. La lumière rouge sang projetée sur les colonnes de la nef, les arcs et le pourtour de l’autel rendent l’atmosphère étrangement enveloppante. Le public semble avoir compris le contrat tacite et ne se retourne pas. Tout le monde fixe l’autel. Certain·e·s ferment les yeux.
Plus les notes retentissent, plus la teneur du concert prend son sens. On a le sentiment d’assister à une messe interdite. C’est déroutant de ne pas voir l’artiste. À la fin du premier morceau, le public se tait, personne n’applaudit. Un long moment sépare les titres, comme un appel à la communion silencieuse orchestrée par les vibrations de l’orgue. Quatrième morceau, la liturgie continue, s’élevant encore plus intensément au cœur de l’église. L’orgue se fait plus strident, des sifflements lointains s’entremêlent.
La suite résonne comme la bande son d’une grande bataille qui se prépare pour faire face à une armée arrivant à grands pas pour attaquer notre forteresse. Le cor sonne par-delà la plaine. C’est assez impressionnant. L’expérience n’a rien à voir avec celle qu’on a pu vivre chez nous, quelques jours auparavant, alors qu’on se familiarisait avec les sonorités post-rock sombres de l’artiste.
Les premières secondes du sixième titre nous font directement penser à celles du film Shining. L’intensité est à son apogée, on sent venir la fin du concert, ce qui n’est pas plus mal car cela aurait fini par ressembler à une messe qui tire un peu trop en longueur.
La fin de la performance nous fait presque oublier le lieu et nous plonge quelques minutes dans les dédales d’un conte, d’une légende féérique. La musique s’arrête net, suivie d’un timide « Thank you so much! » en guise de clôture.
Le public est conquis, applaudit longuement, se lève et se retourne pour saluer l’artiste. Quelques secondes plus tard, Anna von Hausswolff et le reste de son équipe se retrouvent enfin face à nous. Ils sont descendus de leur estrade orgueilleuse (vous l’avez ?) pour venir nous remercier chaleureusement. Le public applaudit de plus belle, pousse quelques cris. On en profite pour voler quelques photos de dernière minute avant que le groupe ne nous quitte.
Malgré les quelques couacs organisationnels auxquels on a été confronté·e·s, on peut affirmer que, ce soir, Anna von Hausswolff nous a proposé une expérience différente, déroutante, inattendue, le tout dans un endroit qui a fait jaser les plus puritains d’entre nous. On vous recommande l’expérience !