Le mois d’octobre commence à peine et le Belge, qui ne connaît que trop bien ce qui l’attend après un été pas terrible-terrible, se protège physiquement et psychologiquement en prévision des mois gris et maussades à venir. Quand le soleil ne répond plus présent mais qu’il ne fait pas encore assez froid pour se résigner à s’enfermer chez soi devant une avalanche de séries ou de vidéos YouTube qui répondront parfaitement à notre besoin de s’anesthésier la conscience, ou à traîner des heures dans les bars de la ville à la recherche de la moindre éclosion de chaleur humaine, il nous reste la culture pour nous secouer un peu le pruneau, se sentir encore faire partie des hommes.
La culture, dans le sens le plus éclectique du terme, c’est ce que soutient le Festival International du Film Francophone, qui chaque année fait figure de micro-événement dans les rues tranquilles de la ville de Namur. A l’instar de son tapis rose qui accueille aussi bien les artistes renommés que les jeunes réalisateurs et les spectateurs curieux, le FIFF sait doser le cérémonial et la décontraction. On n’est pas là pour se prendre trop la tête ou pour cultiver l’art de gonfler l’ego comme on sait si bien le faire dans certains milieux artistiques. Il semble qu’ici les mots d’ordre soient avant tout rencontre et curiosité.
Rencontre parce que c’est l’occasion pour beaucoup de travailleurs du milieu du cinéma francophone d’horizons différents de se retrouver, d’échanger leurs perspectives et le résultat de leur travail. Curiosité parce que le FIFF propose un catalogue de plus 50 films, issus des quartes coins du globe, permettant de découvrir des premières œuvres de fiction, des courts métrages ou des œuvres indépendantes plus difficilement accessibles via les circuits classiques de distribution.
Deux films et un court métrage, au hasard du calendrier…
Vie Sauvage, de Cédric Khan, est basé sur une histoire vraie. Celle de Xavier Fortin qui, en 1998, enleva ses deux fils à la garde de leur mère pour les éduquer dans la nature, loin des vices de la civilisation contemporaine. Xavier restera caché dans les recoins de la France pendant onze ans, essayant tant bien que mal de s’accrocher à ses idéaux tout en subissant l’inconfort de cette cavale sans fin. Si le fil narratif du film est cohérent et arrive bien à rendre l’ambiguïté du personnage de Xavier Fortin, porté d’un bloc par un Mathieu Kassovitz assez convaincant, le réalisateur surfe sur la dichotomie marginalité/norme, sans vraiment se risquer à développer un point de vue plus personnel. Et si le jeu des acteurs est crédible dans son ensemble, il devient très maladroit lors des scènes où l’émotion gagne en intensité. Un long métrage plutôt timide, de l’ordre du téléfilm, qui se réfugie derrière sa neutralité pour un pari légèrement perdu parce que pas vraiment pris.
L’Éclat furtif de l’ombre, première réalisation de Alain-Pascal Housiaux et Patrick Deschenes (habitués à collaborer pour la construction des décors de nombreux films) a été tourné en Belgique et en Éthiopie. Il retrace l’histoire d’un taximan qui chaque nuit se remémore sa jeunesse en Afrique. Le film passe de scène en scène, sans s’appuyer réellement sur une narration continue ou des dialogues, privilégiant une approche où la forme, le travail sur l’image et le son viennent servir la consistance du projet. Une grande majorité des plans tournent autour du trauma silencieux du personnage principal, et très peu d’éléments viennent aérer cette impression de souffrance tenace, presque visqueuse, autour de laquelle le film se plaît à tourner. Sous couvert d’un humanisme mou, flasque et d’une poésie monocorde, rouillée et fatigante, on ne nous épargnera pas le cliché d’une Afrique miséreuse et désertique, en proie aux guerres et aux viols, qui n’a que le sourire des femmes, le bruits des tam-tams et le chant des ancêtres à offrir en compensation. Les réalisateurs se complaisent dans une victimisation d’un personnage principal épuré jusqu’au tréfonds du néant, passif au point où on se demander s’il n’est pas tout simplement abruti. Comme si l’inaction, l’introspection filmée suffisait à donner de l’ampleur à un sujet grave… A vouloir raconter la vie dans ce qu’elle a de difficile, à juste mettre l’accent sur la souffrance, parce que c’est peut-être une des facettes les plus significatives de nos existences, on passe à côté du vivant, et on ne donne à personne envie de l’être.
Bonne surprise par contre que cet Homme au Chien, court métrage du réalisateur marocain Kamal Lazbraq, qui invite à suivre les déambulations d’un homme à la recherche de son chien, dans les bas fonds de Casablanca. Entre film noir et aventure humaine, Lazbraq arrive à imprégner ces images d’un mélange de lyrisme et de réalisme, de violence crue et de second degré, de personnages décalés et touchants. Le film a reçu la mention spéciale du jury (compétition internationale).
La cérémonie des Bayards d’Or clôturera dix jours de festival, avec son lot de sourires étincelants et de remerciements. On y verra, entre autres, un homme politique nous rappeler combien la culture est importante et combien elle doit être soutenue par les temps qui courent, mais aussi Audrey Tautou, invitée Coup de Coeur du festival, heureuse « d’avoir pris sa dose de Belgique » bien qu’elle n’ait « jamais testé de réalisateur belge », et enfin, des conteurs d’histoires en tous genres, heureux de les savoir écoutées et entendues. Mommy, de Xavier Dolan, a fait sensation et a raflé trois prix, tandis que Timbuktu, une fable sur la vie dans un pays sous l’emprise du Jihad, réalisée par Abderrahmane Sissako, a remporté le Bayard d’Or du meilleur film.