Le week-end des 2 et 3 mai, le festival punk rock Groezrock offrait un line-up d’une saveur résolument 1994. Deux jours intenses au coeur de Meerhout, une petite bourgade située au sud-est de la Province d’Anvers.
Jour 1. Arrivée sur le lieu des hostilités dans la paisible commune flamande. L’organisation locale est détendue, comme les festivaliers aux looks plutôt bigarrés. Street punkers, hardcoreux et metalheads en tête de proue, sont réunis autour d’une tacite bannière conductrice nommée « 1994 ». A l’affiche : Madball, Screeching Weasel, Descendents, The Casualties, The Offspring venu fêter les 20 ans de l’album Smash, NoFx en faisant de même pour Punk in Drublic et bien d’autres groupes interlopes. Indice supplémentaire, les titres diffusés par les régies son (de Weezer à Corona) ne laissent plus aucun doute sur l’intention de ce salutaire revival.
Ratant de peu Descendents, nous arrivons au milieu du set furieux du groupe de punk hardcore H2O, né en 94, justement. Le but? Se frayer un chemin devant la (trop petite) scène Ethnies en plein mosh pit sous chapiteau. Inutile de décrire la joyeuse mission! L’énergie qui y circule est autant intense que véhémente, aussi violente que fédératrice. Les hymnes « coreux » défilent comme les slams en mode cumulets arrières, le parfait remède anti-neurasthénie.
Arrivés trop tardivement sur le site pour profiter de groupes comme La Dispute, Ignite, Madball ou Descendents, nos espérances reposent sur le set de clôture de NoFx. Le groupe de punk rock à roulettes déboule, avec comme promesse annoncée de nous faire revivre en live l’album Punk in Drublic (94 again!). Fat Mike, en grande forme, semble ravi d’être là. On se dit que le leadsinger pourrait aisément se reconvertir dans une carrière solo de stand-up tellement les punchlines pleuvent entre les morceaux. Après quelques vannes sur The Offspring, il enchaîne sur le look globalement « dark » des festivaliers, à deux doigts de parodier le tube d’un Don’t call me… black.
La verve haute en couleurs, le groupe dégage une énergie fun qui sent bon le soleil californien, reprenant l’intégralité de l’album d’une génération entière de skateurs à baggy et à crête fluo. On s’amuse beaucoup de voir Fatty Mike se faire régulièrement houspiller par le staff à cause de la durée de ses interventions entre les morceaux. A la fin du set, il squatte la scène, à la recherche de prétextes pour veiller un peu encore avec son public, comme le ferait un môme surexcité en fin de réveillon. Il attrape un drapeau arc-en-ciel et le brandit en déambulant parmi les roadies qui démontent déjà le matos. On aimerait presque lui proposer de terminer la soirée autour de quelques bières locales, en causant des divergences linguistiques belges qui l’amusent tant.
Jour 2. Encore raté pour les concerts de The Casualties, Snuff et Touché Amoré. Dommage! Comme pour le jour précédent, l’entrée en matière s’établit de nouveau devant un set hardcore, mais beaucoup plus screamo, puisqu’il s’agit de Bury Tomorrow. Le groupe du Hampshire fédère un public beaucoup plus jeune et soulève les corps d’envolées lyriques souvent émo et de lourdes lignes de basse maîtrisées. Un circle pit et un petit wall of death de circonstance plus tard, il est vraiment temps d’anticiper notre place en première ligne pour le live de Screeching Weasel.
Comment décrire Ben Weasel, le co-fondateur empirique et imbitable du groupe (qui, en passant, pourrait détenir le record du plus grand nombre de membres virés)? Il faudrait croiser Al Bundy avec Dee Dee Ramones. Ce mec a le sex-appeal d’un quadra vicelard et incisif de la classe moyenne américaine. Autour de nous, une foule de trentenaires extatiques trépigne devant le superbe flag band des vieilles fouines belliqueuses, l’un d’entre eux avouant même avoir fait le déplacement d’Afrique du Sud pour l’occasion.
La clique déboule sur scène et Ben prend directement la fameuse posture arquée des Ramones, groupe qui l’a tant influencé. Les riffs sont rapides, le regard est à jamais frondeur et étincelant. Lorsque le colérique track My Right est envoyé, comme la pierre angulaire d’une fronde aigrie, le public, qui se le prend en pleine poire, exulte. Le moment le plus drôle du festival pointe son museau lorsque l’affreux Ben, supposément sous contrat avec la boisson énergisante Monster, se sent contraint d’en faire l’éloge. Grand moment d’absolu sarcasme et d’allusion à peine voilée sur la décrépitude inexorable (à moitié revendiquée) d’un vieux punk nihiliste de presque cinquante balais. Cela donnait à peu près ceci : « Grâce à la boisson Monster, mes cheveux repoussent et mes couilles deviennent plus grosses. Le punk est mort, bande de crétins, oï! » Tandis que certains huent, d’autres flairent le degré assez éloigné du personnage et se bidonnent. Ils sont parfaits!
Une fois ce moment ultime passé, nous nous accordons un petit un instant de répit avant d’affronter le charismatique groupe de garage punk suédois The Hives. En grands habitués des festivals, leur prestance scénique est imparable. Le visuel est impressionnant, tout comme l’attitude maîtrisée de Howlin’ Pelle Almqvist, flattant son jeu d’égo théâtralisé à l’humour surdimensionné. Il joue ce rôle qui fait forcément mouche, dans son costume noir, blanc et or, tel un Figaro déjanté, évadé d’un Milk Bar psyché 60’s. Le florilège de leurs si nombreux tubes sonne le glas, tandis que le staff encagoulé démonte les éléments de leur set.
Pour le set de clôture du festival, le public devient foule, de plus en plus compacte. Chaque centimètre carré d’espace vital est à défendre férocement, avec une détermination combattive. Ça ricane pas mal lorsque les roadies amènent de gros ventilateurs sur scène. La tête d’affiche se fait quelque peu désirer… Et là, sans que l’on s’y attende, l’ingé son cale (volontairement?) le dernier intermède, à l’effet d’un couteau enfoncé dans la lancinante nostalgie collective ; le refrain de Lithium est murmuré d’une seule voix par l’audience. Il se passe à ce moment quelque chose d’intense et puissant. Le titre spectral est ensuite brutalement coupé par l’intro de l’album Smash : « Aaah, stand you relax, you know what that means… ». Notre cortex confus nous mitraille malgré nous de flashbacks saccadés totalement déroutants de notre préadolescence. Oppressés par cet effet et par la densité humaine, nous sommes dans un drôle d’état. Le set de The Offspring démarre.
Devant Dexter Holland, Greg K et Kevin Wasserman, nous ressentons une fascination déroutante pour ce groupe punk rock tant taxé d’opportunistes un peu trop mainstream. Mais, en bons rejetons des 90’s que nous sommes, nous connaissons quasiment tous les morceaux de cet incontournable album signé chez Epitaph (et honnêtement, qui ne souhaiterait pas prendre part à la communion de l’entité qui a bercé avec une désinvolture passionnée toute une génération MTV?). Les titres s’enchaînent dans le même ordre que sur le CD que nous avons tous écoutés plus d’une fois. Le groupe, un brin fantomatique, semble parfois n’être qu’un simple jukebox, évitant toute injonction superflue entre les titres. On flotte dans un espace-temps dissonant de vingt ans. Après Smash, The Offspring se permet de prolonger sa prestation avec des tubes issus des albums suivants, Ixnay On The Hombre et Americana. Le groupe quitte ensuite sobrement les lieux, sans un mot en trop. A ce moment-là, certains pensent peut-être, comme nous, qu’il ne manque qu’un groupe, dont personne n’a encore osé évoquer le nom, pour parfaire l’édition du Groezrock 1994, euh 2014… R.I.P.
Carolyne Missdigriz