Ce 2 octobre 2022, le Botanique accueillait le groupe de black metal psychédélique Oranssi Pazuzu en tête d’affiche d’une soirée de concerts programmée en partenariat avec Goûte Mes Disques et Classic 21. Le quintette finlandais devait initialement s’y produire en mai de l’année dernière, aux côtés de Deafkids et Sturle Dagsland, mais l’événement avait dû être reporté en raison de la crise sanitaire. Telepathy et Aluk Todolo complétaient l’affiche de cette nouvelle date.
Bruxelles, 19h15. Alors que le soleil vient de se coucher derrière les toits de la capitale, un attroupement se forme aux abords du Botanique. Ce soir, le noir est la nuance maîtresse, d’un point de vue vestimentaire comme musical. C’est au tour d’Aluk Todolo (la voie des ancêtres, en indonésien) de démarrer les hostilités. Difficile de coller une étiquette sur la musique de ce trio parisien tant elle se teinte de couleurs différentes : du black metal au krautrock en passant par le free jazz et la noise.
Au milieu de la scène, une énorme ampoule accrochée à un fil rougeoie en rythme et éclaire les visages des trois musiciens de sa lumière orangée. Caché derrière son énorme instrument, le batteur donne la cadence, tel un lieutenant un jour de défilé. La basse, bien présente, apporte de la puissance à cette formation en marche. Tandis que la guitare et ses sonorités tantôt stridentes, tantôt lancinantes hypnotisent la foule.
Formé à Grenoble, en 2004, par Antoine Hadjioannou (batterie), Matthieu Canaguier (basse) et Shantidas Riedacker (guitare), le groupe n’est pas inconnu au bataillon de la scène musicale européenne. Pourtant, c’est la première fois qu’on a l’occasion de le voir en live… mais pas la dernière. Il faut dire que la magie (noire) opère tout de suite sous les gestes maîtrisés de ces trois artistes talentueux et qu’on se laisse emporter par leur prestation à mi-chemin entre une séance de méditation transcendantale et une cérémonie occulte.
Voici déjà venue la fin du rituel. Sous l’impulsion du guitariste, l’ampoule se balance d’un côté à l’autre de la scène. La rythmique se fait de plus en plus lente et les accords de plus en plus lourds. Les bas-ventres vibrent sous les ronronnements de la basse. Petit à petit, les sons s’étouffent pour laisser place au silence.
On a à peine le temps de redescendre sur terre que Telepathy prend place sur la scène de l’Orangerie. Le quatuor post-metal n’en n’est pas à son coup d’essai. Formé en 2011, il s’est depuis produit dans de nombreux pays et festivals tels que le Roadburn, ArcTanGent ou encore le Desertfest London. Ce dimanche 2 octobre, il débutait au Botanique sa nouvelle tournée européenne avec Oranssi Pazuzu.
Le voyage que la formation polono-britannique nous propose ce soir est digne d’une épopée post-apocalyptique. Une batterie, une basse et deux guitares pour un mur riffs qui avance vers nous avec la puissance d’une tornade F5, emportant tout sur son passage. Puis soudain, on se retrouve dans l’œil du cyclone, pour un instant suspendu au milieu du chaos, avant que les rafales ne repartent de plus belle.
Si Telepathy maîtrise parfaitement son sujet et possède toutes les qualités nécessaires pour assurer une bonne prestation live, le groupe nous laisse tout de même une légère impression de déjà-vu. Sensation que la tête d’affiche du jour ne manquera pas de nous faire oublier.
À travers leurs compositions remplies de références aux vieux films d’épouvante, les Finlandais d’Oranssi Pazuzu redessinent les contours du black metal. Ce soir, c’est dans une Orangerie pleine à craquer qu’ils jouent pour la première fois. IImestys, premier titre de leur dernier album studio, Mestarin kynsi, ouvre le bal (des vampires). Un morceau lent mais très efficace qui déploie sa puissance crescendo et nous transporte dans une autre dimension.
Il fait nuit noire, seul le halo lumineux de la pleine lune éclaire l’horizon. Toutes voiles dehors, un vieux gréement fend de sa coque l’épais brouillard qui surplombe l’eau. De larges vagues viennent s’écraser sur ses flancs. Les yeux sombres du capitaine scintillent derrière les mèches de sa longue chevelure noire, fouettée par le vent. Il le sait que, dans quelques secondes, son équipage et lui auront rattrapé le navire marchand qui leur avait échappé quelques heures plus tôt. Il ne peut s’empêcher d’exprimer sa satisfaction en laissant s’échapper des cris éraillés du plus profond de ses entrailles. Ce soir, les ténèbres vaincront, encore une fois.
Les titres s’enchaînent mais ne se ressemblent pas. On passe des flammes rouges de l’enfer au bleu indigo des profondeurs sous-marines. Les guitares sonnent presque comme des violons. Les bruits stridents qui complètent l’ambiance sonore nous évoquent le cri de créatures aquatiques. Au plus les minutes passent, au plus les mouvements du guitariste s’intensifient. Pieds nus, il esquisse des pas de danse en faisant valser sa crinière dans les airs. Voilà qui contraste avec la posture du second guitariste et chanteur. La foule compacte est comme envoûtée par les incantations du maître de cérémonie vissé à son pied de micro.
22h45, après un set tantôt lourd et sombre, tantôt léger et planant, le groupe fait résonner ses dernières notes sous une salve d’applaudissements. Un rappel s’impose. 22h55, la messe (noire) est dite. Les lumières se rallument et l’Orangerie se vide petit à petit de ses spectateur·rice·s et de leurs effluves. Le prêche du dimanche soir en a converti plus d’un·e, à en croire la file qui s’allonge devant le stand merch du groupe. Bon c’est pas tout ça, on vous laisse, on a un disque à acheter.