L’intrigue de cette soirée a commencé bien avant le concert. Annoncé sur le site de l’Ancienne Belgique comme un groupe de « post-folk-rock solide et sophistiqué en provenance de Corée du Sud », Jambinai a de quoi susciter la curiosité. Mais quand on apprend que le groupe a joué en live lors de la cérémonie de clôture des Jeux Olympiques d’Hiver en 2018, ça en devient carrément excitant !
On prie quand même pour ne pas assister à un énième concert de k-pop, dont la Corée a fait une spécialité. Mais surtout, on ne sait pas trop à quoi s’attendre. Alors on glisse une oreille investigatrice sur Spotify et comprend qu’il ne s’agit pas d’un quelconque projet musical hybride et expérimental foireux et inaudible. Pour preuve, les Sud-Coréens sont en tournée pour défendre leur cinquième album : Onda. Album que le guitariste ne cessera de recommander d’acheter tout au long du concert, non sans humour.
Tandis que le déluge s’abat sur le Boulevard Anspach, les cinq membres du groupe prennent place sur scène en toute simplicité. Un silence attentif se propage à travers un AB Club bien garni. À côté du classique guitare-basse-batterie, on retrouve également des instruments traditionnels coréens : un haegum et un geomungo. L’haegum se rapproche d’un violon ou d’un violoncelle, aussi bien d’un point de vue sonore que visuel, mais dans une version plus épurée. Quant au geomungo, il s’apparente davantage à une grande pirogue posée à même le sol. Muni de 6 cordes, il est capable d’émettre des sons doux comme ceux d’une harpe ou brutaux comme ceux d’une guitare électrique franchement acérée, et cela grâce à un jeu de mains diabolique.
Comme lors d’un concert de musique classique, le groupe prend un certain temps à accorder ses instruments avant de réellement commencer à jouer. Et puis, de légères notes douces s’échappent enfin du piri (autre instrument traditionnel qui se rapproche de la flûte) et du fameux geomungo, doucement rejoints par l’haegum et quelques accords d’une guitare claire. Soudain, et sans signe avant-coureur, le cataclysme s’abat sur le Club : fini la douceur, des vagues de décibels hurlantes viennent se fracasser sur l’assistance. La guitare, la basse et la batterie sont entrées dans la danse. Les sonorités du geomungo n’ont plus rien d’apaisantes, c’est la guerre sonore. C’est comme passer de la zénitude d’un jardin asiatique à la violence dévastatrice d’un tremblement de terre, si courant dans cette région du globe. Et cette puissance émane de cinq Coréens qui sont royalement assis sur scène, à même le sol ou sur des chaises. Contraste saisissant !
Il en sera ainsi pendant tout le concert : les morceaux s’étirent dans cette alternance de moments d’accalmie avant le retour de tempêtes sonores annonciatrices du chaos universel final. On est proche du post-rock de Mogwai dans ses moments de rage et du lourd metal d’Amenra, mais avec des sonorités qui font vibrer le tympan dans sa sensibilité exotique, tout du moins dans nos oreilles d’occidentaux. Quelques bribes de chant se font aussi une place dans ce tourbillon, qui n’est pourtant jamais brouillon. Des chants qui résonnent comme des échos sortant du fond des vallées les plus reculées d’Asie, sorte d’incantations monastiques aussi mystiques que divines qui foutent des frissons.
Le public sera resté très attentif tout au long du concert, écoutant religieusement les longs silences espaçant les douces notes des instants les plus calmes, sans pour autant hésiter à pratiquer sauvagement le headbanging lorsque l’éruption sonore aura atteint son apogée. Après une bonne heure trente de live et un rappel, c’est sous un déluge d’applaudissement et de cris que le groupe salue le public et quitte définitivement la scène sur ces dernières paroles : « God bless you ». Il le faudra ! Le public doit encore en effet affronter un dernier déluge, puisque ce sont des véritables cascades d’eau et coulées de boue qu’il faudra traverser pour espérer choper un métro.