Jeudi 30 mai 2019, on quitte Bruxelles avec une demi-heure de retard sur le planning mais un large sourire aux lèvres. Aujourd’hui n’est pas une journée comme les autres, mais celle que l’on attend depuis plusieurs semaines avec une impatience non dissimulée : le premier jour du Dunk!festival 2019.
Direction Zottegem pour notre septième participation à ce festival hors du commun consacré aux post-musiques. Pourquoi hors du commun ? Parce que face à une société toujours plus contrôlante et à une standardisation croissance de la culture, une petite enclave résiste. Ici, pas de fouilles incessantes, ni de gardes de sécu (juste quelques-uns pour veiller sur le matos). Un petit-déjeuner, du café à volonté et même un goûter offerts tous les jours à l’ensemble des festivaliers. Et enfin, des concerts – ceux de la Forest Stage – et un camping gratuits. Le tout dans une ambiance conviviale, un cadre exceptionnel, surtout la nuit tombée, et des conditions techniques professionnelles (son et lumières d’une qualité indéniable). Que demander de plus ?
On arrive sur place vers 12h, juste à temps pour rejoindre notre FestiTent, avaler le mezze grec acheté sur la route et se rendre sous le chapiteau pour le premier concert du jour. Trio instrumental formé en 2017 à Santigo du Chili, Sistemas Inestables compte pour l’instant un EP à son actif. Sa musique se caractérise par l’utilisation de séquences électroniques sur lesquelles viennent se poser des synthétiseurs profonds et des guitares éthérées. Alternant entre moments planants et passages frénétiques, leur set aura relevé le défi de faire danser le public de la Main Stage en ce début d’après-midi.
Cette année, le rythme est soutenu : cinq petites minutes séparent chaque concert. On enchaîne donc sans tarder avec le second live du jour. Passant sous les arcades de verdures formées par les branches entrelacées, on suit les sentiers tracés entre les arbres et s’enfonce dans le bois, guidés par les roulements de batterie de Black Narcissus qui vient d’entamer son set sur la Forest Stage. Avec ces deux musiciens belges, on change de registre et glisse vers le post-metal. Ce duo basse-batterie originaire d’Aarschot a sorti son premier album, Beyond The Whispers Of Common Men, l’année passée. Cet après-midi, il nous immerge dans une ambiance tantôt sombre, tantôt lumineuse. Avec sa double pédale, la batterie sonne définitivement black metal, tandis que la basse invite plutôt à la danse. Repoussant constamment les limites des genres, Black Narcissus développe des paysages sonores variés nous faisant ainsi voyager entre différents univers musicaux.
Le soleil fait de temps en temps son apparition à travers les feuillages des arbres qui entourent la scène. Plus grande que les années précédentes, elle est toujours recouverte d’une toile cirée transparente permettant aux festivaliers d’avoir une vue directe sur ce qui s’y passe, peu importe l’endroit où ils se trouvent. Elle a néanmoins perdu en beauté, sa forme d’arque de cercle ayant laissé place à des lignes beaucoup plus droites.
Petit passage par le bar pour se rafraîchir le gosier avant de retourner sous la chapiteau pour applaudir Osorezan (‘Montagne de la peur’, en espagnol) qui joue déjà depuis un petit temps. Les visages sereins du public s’éclairent d’une lumière bleue au rythme des mélodies déployées par la formation chilienne. Selon la tradition bouddhiste, le Mont Osore, lieu sacré du Japon, marque l’entrée des Enfers. Là-bas, les forêts feuillues se confondent avec les terres dévastées par des éruptions volcaniques, dans une allégorie de la vie et de la mort. Une dualité que l’on retrouve dans la musique des Chiliens, flirtant autant avec les envolées duveteuses du post-rock que les riffs sombres et les roulements de batterie puissants du metal. Le tout teinté des sonorités japonisantes d’un violon électrique et de pincements de cordes dissonants procurant à l’ensemble un caractère bruitiste. Cinématographique, leurs compositions nous emportent le temps d’un instant dans une autre dimension.
C’est au tour de Welcome to Holyland de se produire sur la Forest Stage. Le bassiste, presque en grand écart, occupe le milieu de la scène. Des rugissements gutturaux, des accords de guitare lentement plaqués et des coups de batterie inflexibles… Ce n’est pas notre style préféré, surtout en matière de chant, mais on doit admettre que le tout est plutôt bien exécuté.
Place à Haester et son metal musclé sur la Main Stage. Bien que les hurlements du chanteur ne soient pas foncièrement différents de ceux du groupe précédent, ils passent bizarrement mieux. Il faut dire qu’il sait captiver la foule, sans pour autant en faire des caisses, et que les compos sombres et intenses du groupe ont quelque chose d’envoûtant.
On enchaîne avec Am Fost La Munte Si Mi-a Plācut dans la forêt. Fondé à Bucarest en 2015, le quartette roumain vient tout juste de sortir son nouvel album, La Deal, qui signifie ‘en haut de la colline’ en français. Le petit bois du Dunk! et sa butte sont donc le décor idéal pour déployer son post-rock coloré de rock progressif et même d’indie rock. Un groupe à l’identité singulière, relativement divergente de la tradition post-rock, mais non moins intéressante. Le public semble d’ailleurs séduit par la proposition de la jeune formation. Wolf, un border collie un peu foufou que personne n’a pu louper cette année, profite du calme ambiant pour se balader dans le public, la queue frétillante. Des caresses à gauche, des papouilles à droite, le toutou serait presque en train de voler la vedette aux Roumains, qui semblent plutôt amusés par la situation.
On était partis pour zapper le concert de Labirinto (qu’on avait déjà vu au Dunk!festival en 2013 et 2015, sans être réellement subjugués par leur prestation) et profiter d’un moment de répit dans notre marathon musical du jour… mais notre conscience professionnelle a pris le dessus. L’apéro attendra ! Et en cette fin d’après-midi, c’est une excellente impression que nous font les Brésiliens. Des riffs de guitares lourds et puissants, une fille qui assure grave à la batterie et qui martèle ses futs en cadence, comme les percussionnistes du Carnaval de Rio, et des sons/voix enregistrées (Vigília) qui viennent par moments donner une touche mystique à l’ensemble. Labirinto a réussi à nous coincer dans le dédale de ses compositions post-metal. Jugement révisé !
On passe notre tour pour Staghorn. Il faut tout de même qu’on se mette quelque chose sous le dent pour tenir jusqu’au bout de la nuit. Quarante minutes plus tard, on est pile-poil à l’heure pour Coastlands qui se produit sur la grande scène. Des basses profondes nous accueillent à l’entrée du chapiteau. Avec les Américains, on replonge dans le bleu de l’océan. Quelques notes résonnent en s’étirant dans les airs, tel le chant envoûtant des sirènes tentant d’attirer les marins. 1, 2, 3, 4, coups de baguettes viennent fendre le silence et donner le tempo. On s’est assis sur le côté de la scène pour noter nos impressions, tournant presque le dos au groupe. Dans notre vision latérale les visages béats du public s’éclairent de diverses couleurs. Les photographes alignés en rang d’oignons semblent soit épuisés, soit complètement hypnotisés par le spectacle.
Direction la forêt pour Fvnerals et sa chanteuse-bassiste encapuchonnée. Une lumière bleue éclaire les arbres aux abords de la scène. Quelle chance on a de pouvoir profiter des concerts dans cet endroit magique ! Des lignes de basse graves et puissantes se distendent en complaintes appuyées par une batterie lente et profonde. La voix à la fois claire et sombre de la chanteuse, qui n’est pas sans rappeler celle d’une certaine Chelsea Wolfe, résonne comme une incantation, se réverbérant tout autour de nous. Des spirales rouges se dessinent sur la toile cirée transparente de la scène. On se laisse ensorceler.
Retour à la Main Stage où This Patch of Sky est attendu. Il est un peu plus de 21h quand les Orégonais arrivent sur scène et, d’emblée, on a le sentiment d’être passé à un niveau supérieur. La virtuosité des musiciens et la qualité de leurs productions ne sont plus à démontrer. Ils décrochent littéralement un coin de ciel pour nous l’amener sur terre. Ou peut-être est-ce l’inverse ? Quoi qu’il en soit, la magie opère. On ferme les yeux et se laisse bercer par le scintillement des étoiles qui brillent jusque sous nos paupières.
On continue notre ballet entre les scènes avec le dernier concert du jour sur la Forest Stage, et non des moindres. Dans Celestial Wolves, on retrouve entre autres les frères De Bolle, tous les deux actifs dans l’organisation du festival. Tandis que Wouter est le photographe officiel du Dunk!, Joris est en quelques sortes la nounou des groupes. C’est lui qui veille à ce qu’ils se sentent le mieux possible et qu’ils aient tout ce qu’il leur faut. Un être humain exceptionnel ce Joris : ouvert, souriant, drôle et généreux. Les loups célestes sont lancés à pleine puissance et nous gratifient d’une des meilleures prestations du jour. Il faut dire qu’ils ont parcouru du chemin depuis leur dernier passage au Dunk!, qui remonte à 2015. Plus en place que jamais, ils ponctuent leur set de commentaires, notamment concernant le résultat des élections belges (montée de l’extrême droite en Flandre) qui les déçoit énormément, et on les comprend. Mais ce soir, on est tous réunis, peu importe nos origines, et ça, ça fait ultra plaisir à voir.
C’est à Ufomammut que revient l’honneur de clôturer cette première journée de festival. On avait déjà eu l’occasion de les applaudir lors du Dunk! 2014. Les jambes lourdes d’être restés debout la journée entière, on décide donc dans un premier temps de se poser sur le bord du chapiteau. Mais on ne tardera pas à rejoindre le frontstage pour profiter au mieux de ce show exceptionnel que nous livrent les Italiens. On est pris aux tripes par la puissance de leurs compositions. Hyper réceptive, la foule remplit le chapiteau de ses applaudissements et cris de joie. Pendant une heure, les titres défilent et quand vient finalement l’heure du dernier morceau, on croise les doigts pour qu’il y ait un rappel. Souhait exaucé : seul sur scène le guitariste nous gratifie d’un solo du feu de Dieu (on gobe les mouches, tellement c’est bon), avant d’être rejoint par le batteur et le bassiste pour conclure le set en apothéose. Épique. Quelle claque !
Impossible d’aller dormir après une telle prestation… et puis ce n’était pas vraiment notre intention. On est en effet pressés de retrouver nos DJ Fries et leur playlist WTF mais toujours aussi efficace. Ce serait quand même bien de l’agrémenter de nouveaux titres l’année prochaine, les gars. Pensez à nous qui les connaissons par coeur depuis toutes ces années. Les DJ Fries qui ont désormais une page Facebook, cela dit en passant. La journée s’achève par des « too many puppies » scandés en coeur sur le chemin du retour au camping, et le sourire aux lèvres, comme elle a commencé. Rendez-vous au prochain épisode pour découvrir la suite de nos aventures en terre post-rockeuse.