Jeudi 24 avril 19h, une bonne drache venteuse d’automne s’abat sur le Botanique et ses jardins. La température aussi est automnale. Le ton est donné, cette soirée n’est pas faite pour les petits joueurs. Au programme : des guitares, beaucoup de guitares… mais pas que !
ENDLESS DIVE
C’est aux Tournaisiens d’Endless Dive que revient la lourde tâche d’ouvrir le bal et de faire péter les premiers décibels dans un chapiteau encore très peu peuplé. On les avait vus il y a un peu plus d’un mois au Salon à Silly dans un environnement plus restreint et intimiste. Là, sur une ‘grande scène’ et avec un joli light show, assez dynamique, qui oscille entre les teintes de blanc et de bleu, c’est encore autre chose. Cela donne clairement plus d’ampleur à leur musique. Malgré quelques petits soucis techniques sans grande incidence, ils déroulent sereinement mais avec force leur post-rock sous la forme d’une cavalcade mélodique et de riffs de guitares inspirés, dont on aimerait parfois qu’ils aillent plus en profondeur et qu’ils se montrent plus tempétueux. Mais cela n’en reste pas moins bien carré et transportant. Leur set d’une trentaine de minutes aura fait se remplir doucement mais sûrement le chapiteau.
LENNY PISTOL
Petit détour par le Grand Salon pour aller jeter une oreille aux mélodies veloutées du Belge Lenny Pistol. Le mec et son groupe (lui à la guitare, un autre à la batterie et un dernier aux synthés) respirent la sérénité à plein nez. Alors, si on ajoute à cela des petits canapés et des chaises confortables pour se poser, il n’y a plus qu’à se laisser bercer, sans se presser surtout. Cette salle et son architecture tout en profondeur et en hauteur est juste splendide. L’habillage lumineux participe à cette impression générale, avec ces deux grandes colonnes en fond de scène qui se terminent en une arche surplombant l’endroit. Une jolie parenthèse, doucement mélancolique, avant le prochain déferlement électrique.
THE PSYCHOTIC MONKS
Retour sous le chapiteau d’où se déverse un raz-de-marée de larsens, de distorsions, de martèlements de batterie, de chants nerveux, voire un poil menaçants, et de toute une série d’autres sonorités non-identifiées. Les quatre Français de The Psychotic Monks ont pris possession de la scène… et des enceintes. On dépasse allègrement les 100 décibels : malheur à celui ou celle qui osera s’aventurer au devant de la scène en ayant oublié de manger un truc qui tient au corps avant de venir. Il faut effectivement avoir l’estomac bien accroché. Sur scène un fou furieux, vêtu d’une chemise blanche très ‘new wave’, s’agite avec férocité sur ses claviers et machines. Un autre, chevelu celui-là, s’acharne sur sa batterie. Quant à la section cordes, elle est dans le même état d’esprit que les deux autres. Le chanteur est vêtu d’une robe noire moulante qui descend jusque sous ses genoux. Quelque chose de l’ordre du chaos universel se dégage de leur musique. La rafale sismique et sonore est de la violence d’une tornade sombrement psychédélique. Et ça va envoyer comme ça pendant 45 minutes. Que ceux qui sont encore debout lèvent la main !
BAKAR
Retour au Grand Salon pour Bakar, quelque part à la frontière entre le pop-rock, le punk, le jazz, le funk et le hip-hop. Un objet sonore musicalement inclassable qui arrive tout droit de Londres et plus spécifiquement de Camden, ce qui, en général, est plutôt bon signe. Premier constat : le public, âgé en moyenne de 15 à 25 ans, est majoritairement anglophone et composé d’expatriés et de Britanniques ayant passé la Manche pour assister à ce concert. Bakar semble fédérer une fan base non-négligeable atour de lui, sans pour autant être tombé dans une quelconque hype aussi fulgurante que furtive. À ses côtés, quatre musiciens (batterie, clavier, guitare, basse) aux origines et aux influences diverses, dont les mélodies se marient parfaitement avec sa voix. Cette voix qui nous fait d’ailleurs penser à celle de Kele Okereke (Bloc Party), à qui il est souvent comparé dans la presse. Même musicalement, certaines de ses compos ont ce côté urgent qui caractérise les premiers titres de Bloc Party. Son organe prend son envol avec cette musique qui navigue à travers tous ces styles. Cet entrelacement accentue le contenu de ses textes liés à des combats sociaux et à l’amour. Bref, après une entrée tranquille, pull à capuche vissé sur le crâne, il ne faut pas plus de cinq minutes pour que tout le monde soit debout, envoie balader les chaises et les canapés et se précipite au devant de la scène, installée à même le sol. La proximité et les échanges avec le public ne peuvent donc pas être plus proches et sans filtre. Et la sauce prend monstrueusement bien. Ils sont à tout casser deux cents mais sont venus avec l’enthousiasme et l’énergie d’un stade entier. Porté par cette énergie, Bakar n’hésite pas à aller danser et jumper avec le public, pour un face à face qui foutra une banane d’enfer à tout le monde. Au bout de 45 minutes, et après un rappel, Bakar quitte la scène et le Grand Salon se vide peu à peu. Il ne reste plus qu’à remettre un peu d’ordre pour que le lieu retrouve son coté cosy et tranquille qui a été mis à mal ce soir. Mais cela en valait clairement la peine.
LYSISTRATA
Un petit passage par le bar et la zone food truck et puis direction le chapiteau pour aller se faire défoncer la face par Lysistrata. Entre stroboscopes, guitares hurlantes jusqu’à l’autre bout de la ville et batterie fracassante, difficile de rester de marbre. Leur musique est comme une locomotive endiablée lancée à plein pot et dans laquelle quelqu’un semble constamment remettre du charbon. Ça hurle dans le micro en se contorsionnant, ça colle sa guitare à l’ampli pour en générer un son encore plus dysharmonieux mais d’autant plus jouissif, ça grimpe sur les enceintes et ça saute dans tous les sens. Et puis, finalement, ça balance sa guitare avec rage, guitare qui atterrit dans les bras tendus de la fosse. Malgré cette débauche d’énergie, le show continue à gagner en puissance, deux trois pieds de micro en prenant pour leur grade au passage. N’allez pas nous demander de donner à ce groupe un quelconque qualificatif qui ne serait de toute façon que trop restrictif. C’est tout simplement énormissime à tous les niveaux. Mon Dieu que ce fut bon… mais trop court. Le genre d’expérience qu’il faut vivre pour la comprendre, dans toute sa subtilité et sa nuance. Car oui, malgré l’effet rouleau compresseur de leur musique, elle est aussi pleine de nuance.
ZEAL & ARDOR
Léger repos avant l’ultime tempête du soir : Zeal & Ardor. Projet qui sur papier peut sembler aussi improbable que farfelu : qui oserait mélanger du blues et du gospel avec du black metal ? Le tout imaginé par le musicien américano-suisse Manuel Gagneux. En matière de brassage d’influences et d’hybridation, on peut difficilement faire plus large. Et le public ne s’y trompe pas car il répond présent. Ça secoue la tête au rythme de la batterie dans la plus pure tradition metal, et se laisse très rapidement embarquer par la puissance du chant, à trois voix, tantôt soul et gospel, tantôt hurlant. Mention spéciale au chanteur : un gabarit frêle mais dont les capacités de contorsions saccadées au rythme de la musique feraient hurler tous les ostéopathes du royaume. Dans le chant, on entend la complainte et on sent la sueur du travail forcé de l’Amérique noire mêlée à la rage destructrice du metal. La basse et les guitares sont également là, profondes, grasses et acérées. Et la batterie oscille entre un équilibre savamment dosé d’accompagnement rythmique tribal et d’averses de percussions compulsives. Il en sera ainsi durant une bonne heure.
Sur le coup de 23h30, la messe est dite. Il ne reste plus aux organisateurs qu’à présenter leurs excuses aux riverains pour les nuisances sonores et à ressouder les boulons d’un chapiteau divinement malmené par des tempêtes successives de furieux allumés dont le mot modération ne semble heureusement pas faire partie de leur vocabulaire.