14h30. 28 degrés. Dour s’éveille doucement sous un soleil de plomb, tandis que résonnent dans l’air les premières basses des soundchecks. On pénètre sur le nouveau site en passant devant la Last Arena, la scène principale, où s’activent déjà les roadies.
L’espace n’est pas encore ouvert aux festivaliers et le vide laisse une étrange impression. Il faut dire qu’on a rarement l’occasion de voir un site de festival dépeuplé. En ce troisième jour, l’herbe de la plaine n’est déjà plus qu’un vague souvenir et on arpente le site désert en soulevant de petits nuages de poussière. On a connu Dour sous la drache nationale, l’édition 2018 sera marquée par une météo au beau fixe.Hong Kong Dong
Direction le Labo, pour commencer la journée avec Hong Kong Dong, dont on retrouve avec plaisir les sonorités electro atypiques. On les avait déjà vus en première partie du concert sold out de Triggerfinger au Reflektor, à Liège, devant un public plus nombreux. Ici, malgré la chaleur et une scénographie plus sobre, ils dégagent la même énergie et parviennent rapidement à convaincre un public clairsemé mais volontaire qui se laisse aller à ses premiers pas de danse de la journée. Une prestation aussi courte qu’efficace qui leur permet de démontrer à ceux qui ont fait le déplacement leur originalité, leur bonne humeur, leur sens de la dérision et, surtout, leur grande maîtrise technique. On quitte les Gantois sur un très à propos Goodbye Goodbye.
Avec l’arrivée des festivaliers, la plaine s’est couverte d’un brouillard de poussière que la sueur a vite fait de nous coller à la peau. Le nouveau site est, c’est vrai, plus pratique, moins labyrinthique. Toutes les scènes sont facilement accessibles, en partie parce qu’on peut les repérer de loin et qu’elles sont toutes, grosso modo, installées autour d’un large rectangle. Par contre, l’ancien site avait l’avantage de proposer plusieurs zones d’ombre naturelles, à l’abri de grands arbres. Ici, rien. Le choix est simple : brûler en plein soleil, suffoquer sous les chapiteaux ou la jouer collé-serré sur les espaces de détente assaillis par les festivaliers. Ça manque cruellement de verdure !
Thot
Mais on n’est pas là pour se plaindre, il y a trop de choses à découvrir à l’affiche de ce samedi ! Disons-le d’emblée, si on se retrouve face à Thot sous la toile de la Caverne, c’est parce que le programme signale que Fleuve, son dernier opus, a été produit par le Suédois Magnus Lindberg, connu en tant que membre du groupe Cult of Luna, mais aussi pour son travail sur de nombreux albums de rock dur français (Tagada Jones, AqME, No One Is Innocent). Thot propose propose un mélange de rock progressif et d’industriel, tantôt calme avec quelques envolées mélodiques, tantôt plus rageur à grands renforts de gros riffs de guitare et de martèlement hargneux de batterie. Grégoire Fray, le leader du groupe, occupe le centre de la scène et est entouré, à gauche et à droite, de deux claviers et deux batteries. Une scénographie très statique qui lui laisse tout le champ libre pour s’exprimer et faire valser sa guitare dans tous les sens. Le résultat est efficace. On se laisse porter par le son lourd, hypnotique, qui rappelle par moments, et en plus agressif, le Ghinzu de la bonne époque. On ne s’attarde pas, on a rendez-vous avec l’Angleterre, et on ne parle pas de football…
Baxter Dury
La Petite Maison dans la Prairie se remplit généreusement à l’approche du concert de Baxter Dury. Le silence s’installe au moment où les derniers roadies quittent la scène et que Pompon (Jacques de Pierpont, pour les non-initiés) débarque en mini-short en jeans et chemise à carreaux grande ouverte pour nous présenter le monsieur. Il rappelle à juste titre que Baxter Dury s’inscrit dans la tradition anglaise des dandys de la pop. Aucun doute à cela quand il arrive sur scène en costard-cravate, précédé de deux choristes et de ses musiciens dont la tenue donne l’impression qu’ils doivent tous filer à un mariage après le concert. Dans le public, le style est, disons, différent. Et c’est parti pour 45 minutes de pop-rock savoureuse dont on se délecte autant que de la brise qui s’engouffre sous le chapiteau. Le hasard de l’horaire fait que la petite finale de la Coupe du Monde se joue en même temps. Du coup, entre deux morceaux, Baxter ne peut pas s’empêcher de demander au public s’il connaît le score. Et même si la Belgique mène et que le groupe doit faire face à quelques couacs techniques, il parcourt sa setlist avec une bonne humeur communicative. Almond Milk, pour ne citer qu’un morceau, est un vrai régal – aussi bien musical que dans les paroles – qui nous fera regretter que la prestation s’achève. Quelques bisous bien sentis dans le micro et un touchant « We love you, Belgium. See you later », les Britanniques s’en vont regarder la fin du match en backstage.
Pallbearer
Rapide détour par la Caverne pour assister à la fin du set des Américains de Pallbearer et goûter à leur doom metal. Le chapiteau est aussi peu rempli que pour un concert de début de journée, c’est dire l’intérêt des festivaliers pour le genre qui, il faut le reconnaître, n’est pas le plus festif de la grande famille du metal. Mais on s’y attendait : le metal et le hard rock ont de moins en moins leur place à l’affiche des festivals, et ça a évidemment une répercussion directe sur la fréquentation. Pourtant, le quatuor tout de noir vêtu signe une très bonne prestation qui donne l’opportunité à quelques rescapés du coup de ciseau de headbanger en rythme au premier rang. Le son n’est pas idéal, les basses couvrent le reste et font tellement tout vibrer que des bruits parasites s’invitent à la fête. On prend malgré tout plaisir à rester jusqu’à la fin du concert, même si ça ne semble pas être réciproque sur scène.
Chelsea Wolfe
Après une petite pause pour s’hydrater, on traverse à nouveau la plaine au son du flow de MHD sur la Last Arena, pour rejoindre la Caverne d’où s’échappent des notes de guitare lancinantes. On a rendez-vous avec Chelsea Wolfe pour un voyage en terre gothique. Ça va fort, très fort, et on dépasse sans forcer les 120 décibels quand les guitares rugissent pour accompagner la voix délicate de la chanteuse. Le set est surprenant de variété, alternant morceaux de doom metal et titres plus electro, mais toujours sombres dans le ton. Une sorte de hard darkwave, en somme. On a le sentiment d’être invité dans l’univers torturé de la chanteuse et on se laisse volontiers emmener. Dommage qu’il y ait si peu de communication entre le groupe et le public. Un festival comme Dour n’est peut-être pas le cadre idéal pour Chelsea Wolfe, mais c’est un nom que l’on retiendra pour une écoute plus posée à notre retour.
Ho99o9
On reste bien à l’abri du soleil dans la Caverne, impatient de découvrir les New-Yorkais de Ho99o9. Les quatre amplis Orange amenés sur scène promettent du lourd et la confirmation ne se fait pas attendre. Après une intro aux airs d’apocalypse sous les stroboscopes, theOGM fait son apparition dans une robe à paillettes bleue qui le recouvre de la tête aux pieds, suivi par Eaddy qui, vêtu d’une chemise blanche et de souliers vernis (comme par contraste), se jette sans attendre dans le public déjà présent en masse. Et c’est la claque ! Le mélange de punk hardcore et de riot rap frappe juste et déclenche immédiatement pogos et crowd surfing. On se croirait à un concert de metal. Ça sonne même comme tel. Accompagné d’un batteur pour ce live, le duo se donne à fond avec une énergie incroyable qu’il tire sans doute de son profond engagement politique anti-Trump. Le public est conquis, la température monte. On est tenté de rester jusqu’à la fin du set de ce coup de coeur de la journée, mais il se passe quelque chose d’autre qui mérite notre attention sur la Last Arena.
L’Entourage
Le Gotha du rap parisien investit la scène principale pour un concert en famille. Soixante-quinze représente, TMTC. Le crew marque son grand retour sur la scène rap avec cette nouvelle programmation à l’affiche de Dour, quatre ans après son premier passage à l’occasion de la sortie de Jeunes Entrepreneurs. Le DJ s’installe derrière les platines avec un peu de retard sur l’horaire. Juste de quoi chauffer un public impatient. Puis déboulent sur scène une quinzaine de MCs excités comme des puces qui courent et sautent de long en large de l’arène. On se croirait à la fin d’un concert, quand le groupe invite les fans sur scène pour la dernière chanson. On reconnaît Nekfeu, maître de cérémonie de ce samedi soir. Fous la merde inaugure le show. « Pas d’putes dans mon entourage, fous la merde ! Pas d’putes, L en l’air, pas d’putes ! » scandent les rappeurs. Les mains se lèvent, index dressés et pouces à l’horizontale, et le public reprend le refrain en choeur. Les titres s’enchaînent, comme autant de hits. Il faut dire qu’on a eu le temps de l’écouter, cet album, depuis quatre ans. Et si on n’a loupé une phrase, on peut se rattraper avec l’utile mais extrêmement désagréable écho renvoyé par le mur de stands disposé face à la scène. Difficile d’apprécier les textes dans ces conditions, il faudra que Dour revoie sa copie sur ce point. Le crew clôt sa prestation en reprenant On verra de Nekfeu, comme en prélude du concert de dimanche soir où le rappeur officiera en solo. « Rien à foutre de rien, rien à foutre de rien, je n’en ai vraiment rien à foutre de rien »… C’est là-dessus qu’on quitte L’Entourage.
Bagarre
Direction le Labo à l’heure où l’autre Dour commence, celui des DJ sets et de l’electro. On devait y voir le duo londonien de Mount Kimbie, mais, suite à un problème d’avion, ce sont les Français de Bagarre qui le remplace. Les Britanniques se voient ainsi reprogrammés sur une autre scène et à une heure plus tardive. Ce qui n’est pas une mauvaise chose, le site étant bien plus fréquenté à cette heure-ci et la proximité avec la Redbull Elektropedia ramenant sous le chapiteau des festivaliers partis pour danser toute la nuit. Il suffit de quelques titres à Bagarre pour convaincre un auditoire qui manifeste son engouement en criant entre chaque morceau. Un membre du groupe le dit lui-même, dans un anglais parfait : « Thank you for being here. Maybe you don’t know us or maybe you were expecting another band, but we’re happy that you’re here tonight ». On se pose à côté de l’ingé son pour profiter au maximum du magnifique show lumineux. Deuxième coup de coeur de la journée, dans un tout autre style, qui rappelle par moments un Mogwai en plus festif. Même en fermant les yeux, le show reste délectable : les lumières traversent les paupières, le sol vibre sous les basses et le plancher rebondit au rythme des gens qui dansent. Hypnotique !
On sort de là dans un état second et on remonte à contre-courant le flot des festivaliers qui se dirigent vers la Redbull Elektropedia pour rejoindre le camping au son de la prestation des Anglais d’Alt-J, qui laisseront ensuite la place au célèbre et très attendu DJ allemand Paul Kalkbrenner. Alors que pour nous la soirée se termine, pour une bonne partie des festivaliers, elle ne fait que commencer !
Vassili Koumparoulis