Dans son premier long format intitulé Spit’N’Split, le jeune réalisateur Jérôme Vandewattyne nous projette au coeur d’un univers qui pue le rock et le vomi. Sorti en salles le 10 avril 2017, ce documentaire dans lequel on suit le groupe belge The Experimental Tropic Blues Band en tournée est nominé aux Magritte du cinéma 2018 dans neuf catégories.
Lorsque l’on s’installe devant Spit’N’Split, on est d’abord hypnotisés par des instruments en feu qui se consument lentement, avant d’être embarqués dans le van pourri de The Experimental Tropic Blues Band pour une virée folle. Le réalisateur, ainsi que le groupe, nous emmènent sur les routes à la découverte de milieux étranges. Tantôt magiques, tantôt glauques, les images assaillent l’écran : salles de concert, montage, routes, voyages… On n’en rate pas une miette !
L’aspect social de ce long-métrage est très prononcé : on a clairement l’impression de côtoyer les membres du groupe. Impression renforcée par les dialogues qui donnent réellement le sentiment de traîner avec de vieux potes. La belgitude qui déborde de ce film ne manque pas de nous arracher des sourires tout au long de la projection. L’ensemble est franc, drôle et spontané.
Derrière son allure désinvolte et totalement désinhibée, ce documentaire est parsemé de monologues enregistrés en voix off par les membres de The Experimental Tropic Blues Band, qui s’expriment sur des sujets aussi relevés que le sens de la musique, des rencontres, de la vie. Ces références ne manquent pas d’intérêt, voire parfois de poésie.
Attention spoiler !
Et puis d’un coup, comme sous une montée de drogue, on hallucine. Les images sont de plus en plus oppressantes, rapides et cinglées. Ça en devient presque indigeste. Notre esprit a trop de choses à assimiler mais il en redemande, comme un junkie qui a besoin d’une dose de plus en plus élevée pour rester sous effets. Devant Spit’N’Split, on refuse de redescendre sur terre et perd tout sens de la réalité.
C’est alors que l’on commence à douter : ce documentaire est-il une réalité ou une fiction ? Les points de repère disparaissent peu à peu, les lieux se confondent et les individus se perdent. Les membres du groupe sont près de craquer, ainsi que le réalisateur qui apparaît à l’écran après une énième scène de bagarre foireuse.
Soudain, le trip lâche totalement et ses effets disparaissent. La fiction prend le pas sur la réalité et la forme du documentaire tombe à plat. L’intervention totalement incongrue de Bouli Lanners achève de nous convaincre que tout ceci n’était qu’illusion. Changement de technique : le plan est maintenant léché et manque de spontanéité.
Certains diront que c’est du génie, d’autres garderont le goût amer de s’être fait avoir. Car le doute qui s’immisçait lentement dans le scénario rendait service au film : il permettait au spectateur de s’amuser et de se questionner tout en restant attentif. Les puristes des documentaires rock seront donc déçus, les cinéphiles amateurs seront quant à eux ravis et rassurés.
Enfin, après l’intervention inexplicable de Bouli Lanners, on se noie dans une marée d’images tarabiscotée, plus trash les unes que les autres et parfois sans réel rapport avec le groupe et la tournée initiale. Les dernières minutes du documentaire sont vraiment trop lourdes et certaines scènes ajoutées au montage – qui n’ont pas été tournées par le réalisateur – manquent cruellement de pertinence
Malgré cette approche mitigée par rapport à la réalité fictive du documentaire, Spit’N’Split reste dans l’ensemble absolument croustillant et à ne pas manquer pour les fous de musique et de belgitude. De plus, la bande son réalisée par le groupe est bourrée d’énergie. Avec Spit’N’Split, Jérôme Vandewattyne nous livre un long-métrage expérimental que l’on sent traversé par la fougue parfois trop précipitée d’une première réalisation.
Ariane Peltier