Il arrive que deux individus, s’attirant réciproquement comme des aimants, finissent par se rencontrer malgré des parcours personnels d’apparence très différents. C’est ce qu’il s’est passé ce soir-là, dans un club berlinois, pour Jon Courtney et Sammi Doll. Ce qui sonne comme le début d’un roman à l’eau de rose donne en réalité naissance à un projet musical aussi atypique que séduisant : Bullet Height.
Jon Courtney a été le fondateur, chanteur, guitariste et claviériste du groupe de rock progressif Pure Reason Revolution jusqu’à leur séparation en 2011, tandis que Sammi Doll s’est notamment fait un nom au sein de la scène alternative en tant que claviériste de tournée pour IAMX. Deux univers musicaux différents qui ont en commun le souci de sortir des sentiers battus et laissent rêveur quant au résultat de leur collaboration.
L’album, sobrement intitulé No Atonement, s’ouvre sur Fight Song, un titre percutant porté par le rythme effréné de la batterie qui donne le ton de l’album : brut et efficace. ‘In your face’, comme on dit outre-manche. Et ce ne sont pas les quelques secondes de répit aux deux-tiers du morceau qui y changeront quoi que ce soit, au contraire. On ne peut pas dire que ça soit du metal, pas vraiment de l’electro non plus, mais le résultat est explosif. Bastion confirme, s’il le fallait, l’intérêt de la collaboration entre Jon Courtney et Sammi Doll. On perçoit très bien à ce stade que la thématique de l’album est celle d’une relation tumultueuse. Et, comme pour l’illustrer, leurs voix respectives se mélangent, s’isolent, se renforcent, prennent le pas l’une sur l’autre et s’unissent tour à tour, donnant naissance à une sorte d’être immatériel hybride agité par une lutte intérieure. Il y a un vrai travail d’écriture des morceaux et de construction de l’album qui confère à l’ensemble une rare profondeur sémantique. « It’s a fever, than a beating! », Hold Together est sans conteste un des meilleurs morceaux de l’album avec son refrain entêtant, ses changements de ton, ses passages mélodieux et ses envolées rageuses.
Après quelques morceaux plus calmes, toutes proportions gardées, où Sammi Doll puis Jon Courtney prennent plus clairement les devants, l’album revient à la fougue de ses premières minutes. On ne prendra pas le risque de réduire la portée du message ou de projeter une lecture personnelle en paraphrasant la dynamique qui s’illustre ici. Toujours est-il que les meilleurs albums racontent souvent une histoire et que l’histoire de No Atonement saura trouver écho auprès de son public parce qu’elle est universelle : celle d’un amour aussi irrésistible qu’impossible.
On s’approche du terme de l’album avec un Break Our Hearts Down plus conventionnel dont les sonorités rappellent Battle For The Sun de Placebo, immédiatement suivi d’un Fever qui aurait tout aussi bien pu clôturer l’album. La voix de Sammi Doll s’élève doucement sur une mélodie de piano : « You’re a fever all the time, you’re in my bones. You’re a fever all the time, you’re an evil motherfucker all the time, you’re in my bones. […] I’m careless with the love that I show and I lead you into all the black holes, it was savage. Cause I lead you into all the black holes, it was damage ». Et Jon Courtney d’enchaîner, alors que la musique s’emballe : « And now just hate ». Tout est dit.
On pourra reprocher à l’album son côté répétitif – on retrouve en effet les mêmes procédés de composition dans la majorité des morceaux et des sonorités très similaires d’une piste à l’autre – mais on n’en tiendra pas rigueur au duo. No Atonement reste un premier album avec lequel les deux musiciens définissent leur marque de fabrique. Un album qui gagnerait à être connu et qui mériterait une tournée digne de ce nom pour libérer tout son potentiel scénique. En attendant, une chose est sûre : No Atonement est une vraie réussite et Bullet Height est un groupe à suivre de près.
Vassili Koumparoulis