Pour se fondre dans la masse, le 30 juin dernier, il fallait sortir le short en mesh, les sneakers et la baseball cap. À défaut, un t-shirt imprimé Agnostic Front, Sick of It All ou Bad Brains aura parfaitement fait l’affaire. Car, pour la troisième fois cette année, le Reflektor se donnait des airs de club underground américain en accueillant un des représentants phares du mouvement punk hardcore new-yorkais : Madball. Alors, le hardcore, toujours vivant ?
Pour ouvrir la soirée, les programmateurs ont choisi de faire confiance aux liégeois de Lifers – Liège Creepy Crawlers, un nom bien connu de la scène hardcore locale, fort d’une solide expérience. Le public profite encore de la température estivale à l’extérieur de la salle quand les enceintes crachent les premières notes. C’est aussi ça de partager l’affiche avec des groupes de grande envergure : le public ne prend pas toujours la peine de se pointer pour la première partie. Mais Lifers joue à domicile et les fidèles sont là. Leur prestation, aussi efficace que redoutable, aura tôt fait d’attirer les curieux qui viennent remplir la salle au compte-goutte. On reste bluffés par les capacités vocales du chanteur, brillamment soutenu par des musiciens moins communicatifs mais tout aussi talentueux. Il n’aurait pas à pâlir de la comparaison avec les plus grands techniciens du genre. Seul bémol : un polo qui tranche trop nettement avec le look des autres musiciens et met à mal toute tentative de paraître sérieux. Le hardcore n’est peut-être pas mort, mais il a tout à coup un méchant air de crise de la quarantaine. Les titres s’enchaînent et il est bientôt l’heure pour Lifers de conclure son set avec une excellente reprise de Vendetta du groupe Irate.
Extinction des lumières. La tension est palpable. Au centre de la salle, un espace vide porte à croire que le public sait ce qui l’attend : une arène pour gladiateurs. Ce soir, espérons-le, Madball sera à la hauteur de sa sulfureuse réputation. Et lorsque Freddy Cricien débarque sur scène en courant à moitié, le sourire aux lèvres, on comprend vite qu’il est bien décidé à relever le défi. « We are Madball from NYC », annonce-t-il. Le concert débute sur les chapeaux de roue avec un Hardcore Lives qui sonne comme un manifeste et donne le signal du départ. Le public ne s’y trompe pas : un verre de bière à moitié plein s’envole dans les airs et on tente, tant bien que mal, de garder son équilibre en périphérie, tandis que le cœur de la foule se lance dans un premier mosh pit vigoureux. Deux morceaux plus tard, à force de courir d’un bout à l’autre de la scène, Freddy est trempé de la tête aux pieds. Il laisse dans son sillage une nuage de gouttes de sueur à chacun de ses mouvements. Son énergie est communicative et le public n’est pas en reste. Le Reflektor se transforme vite en véritable sauna. On touche à la quintessence d’un concert de metal. La setlist a tout ce qu’il faut pour plaire, alternant succès et B-sides pour le plus grand plaisir d’un public infatigable qui s’en donne à coeur joie. Mosh pit, circle pit, crowd surfing… tout y est. À la faveur d’une courte pause, Freddy demande qui dans la salle assiste pour la première fois à un concert de Madball, histoire de vérifier que le mouvement hardcore n’est pas mort, qu’il attire encore de nouveaux venus. Au vu de l’âge de certains, ça semble être le cas. Comme pour ce petit garçon, casquette de circonstance vissée sur la tête, qui atterrit dans les bras de Freddy au terme d’un slam tout en douceur, puis qui y retourne aussitôt après s’être essuyé. Bienvenue dans la grande famille du hardcore, petit.
Ce soir, à l’issue du concert, chacun rentrera chez soi avec une belle dose d’énergie en stock pour affronter le quotidien et le sentiment d’avoir vécu un de ces moments de communion devenus trop rares. Derrière la violence apparente d’un tel concert où la sueur – et parfois le sang – imprègne les vêtements, il y avait ce soir plus d’humanité dans la moiteur du Reflektor que dans tout Liège. Le hardcore a encore de beaux jours devant lui et c’est tant mieux. Hardcore still lives !
Vassili Koumparoulis